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Le Caucase franchi, il se trouve encore un roi indien d’une vertu incomparable, presque pythagoricien par son genre de vie, et qui se confond en admiration, en éloges, en prévenances pour Apollonius. C’est auprès de lui qu’on reçoit les premiers renseignemens détaillés sur les sages indiens. Ils habitent le sommet d’une montagne d’où ils repoussent à coups de tonnerre les téméraires qui voudraient y monter sans leur permission. Plus on approche de la montagne, plus on rencontre de choses extraordinaires. C’est par exemple un insecte qui produit une huile de laquelle on peut se servir pour lancer des flammes inextinguibles sur les murs des villes ennemies. Plus loin, c’est une femme, noire de la tête aux seins, blanche des seins aux pieds, colorée tout exprès comme cela par la nature pour rendre à la Vénus indienne le culte qu’elle réclame. Ailleurs on rencontre des champs de poivriers cultivés par des singes, et puis des serpens énormes que l’on prend rien qu’en étendant devant leur repaire un linge rouge portant des caractères magiques : dans leur tête se trouvent des pierres dont la vertu est la même que celle de l’anneau de Gygès. Voici enfin la montagne sainte ; elle est entourée d’un brouillard qui s’épaissit ou se dissipe au gré des sages. On remarque, en la gravissant, un feu qui purifie de toute souillure, un puits qui rend des oracles, deux grands vases de pierre contenant l’un de la pluie, l’autre du vent, le tout à la disposition des sages. D’ailleurs ceux-ci affirment que cette montagne est l’ombilic des Indes. Ils y adorent le feu, qu’ils se vantent de tirer directement du soleil, prérogative de Prométhée, symbole pour eux comme pour lui de la science inventive. Damis a vu, de ses yeux vu, ces sages s’élever en l’air, sans appui, sans artifice aucun, à la hauteur de deux coudées. Les sages n’ont pas de maison : quand il pleut, ils font venir un nuage pour se mettre à l’abri. Ils portent la chevelure longue, des mitres blanches, des vêtemens tissés d’un lin que la terre ne permet qu’à eux de cueillir. Leur prodigieux savoir déconcerte Apollonius, qui ne s’étonnait pas aisément. Ils possèdent la science absolue, ils connaissent le passé de quiconque se présente à eux, ils ont réponse à tout. Quand on leur demande : « Qui êtes-vous ? » ils répondent : « Des dieux. » — « Pourquoi ? » — « Parce que nous sommes vertueux. » — « Cette réponse parut pleine de sens à Apollonius, » continue son biographe, qui, parmi toutes les vertus dont il pare son héros, a oublié la modestie. Naturellement Apollonius reçoit des brahmanes la confirmation littérale des doctrines de Pythagore. Jarchas, leur chef, se souvient d’avoir été un autre, un ancien roi ou demi-dieu du pays dont il entonne lui-même les louanges avec la parfaite humilité qui caractérise, on le voit, cette vénérable corporation, A côté de lui se trouve