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portait dans son sein n’était autre que lui-même. Quand elle le mit au monde, un chœur de cygnes, oiseaux messagers d’Apollon, célébra sa naissance, et la foudre tomba du ciel pour y remonter sur-le-champ : c’était le salut des dieux à l’enfant nouveau-né. Doué d’une précocité merveilleuse, d’une beauté qui charmait les regards, Apollonius étudia d’abord à Tarse, patrie de saint Paul, auprès d’un rhéteur renommé ; mais les mœurs dissolues de cette ville le forcèrent de s’en éloigner, et il se rendit à Egée, où il devint adorateur zélé d’Esculape et pythagoricien déterminé. Il s’imposa toutes les épreuves du rude noviciat, tous ces exercices spirituels de l’antiquité que le philosophe de Samos faisait subir à ses disciples, et bientôt on le vit paraître avec le costume particulier de la secte pythagoricienne, c’est-à-dire avec une tunique de lin, nu-pieds, laissant croître sa chevelure, du reste s’abstenant de vin et de viandes. Ses idées sur l’inutilité ou plutôt le caractère blâmable des sacrifices sanglans, ses observations empreintes d’une sagesse fort au-dessus de son âge, les excellens conseils qu’il adressait aux malades venus pour consulter Esculape, émerveillaient les prêtres de ce dieu, et l’admiration s’accrut encore quand on le vit à vingt ans se dépouiller de son patrimoine en faveur de sa famille et se vouer à une continence perpétuelle. Après cinq ans passés, selon la règle, dans un silence absolu, il se met à parcourir l’Asie-Mineure en commençant par Antioche. Partout il prêche les préceptes de la sagesse, le respect dû aux dieux, la vraie manière de les adorer, la nécessité de revenir aux anciens rites tombés en désuétude ou altérés. Déjà il a des disciples qui le suivent partout. Lui-même cependant ne se trouve pas encore assez instruit, et, voulant aller plus loin que Pythagore et Platon n’allèrent eux-mêmes, il part pour les Indes, afin de puiser auprès des brahmanes la science divine par excellence. En passant par Babylone, il visitera les mages. C’est dans ce voyage qu’il s’adjoint pour disciple le Ninivite Damis et qu’il arrive à comprendre, outre les langues humaines, qu’il possédait toutes sans avoir eu besoin de les apprendre, le langage même des animaux. Le roi de Babylone, ravi de le posséder sous son toit, ne se lasse pas de l’entendre et le retient huit grands mois. Enfin Apollonius le quitte pour se rendre aux Indes et « franchit le Caucase, » dit gravement Philostrate, dont l’ignorance en géographie, même pour un ancien, est très grande. Il est vrai qu’il suit ici fidèlement le récit de Damis, un chroniqueur d’une imagination sans pareille. Ce Damis n’a-t-il pas vu, en traversant le Caucase, les chaînes qui servirent jadis à lier Prométhée ! Encore a-t-il soin d’ajouter, en narrateur consciencieux, « qu’il lui fut difficile d’en déterminer le métal. »