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raconter gravement que « le fleuve Caucase, » au moment où Pythagore le traversait, lui dit : « Salut, Pythagore ! » que Pythagore convertit une ourse vorace à la frugalité, qu’il décida un bœuf, en lui parlant à l’oreille, à ne plus manger de fèves ! Chose curieuse, de même que la biographie d’Apollonius est en grande partie une imitation de l’histoire évangélique, de même la vie de Pythagore, telle qu’elle ressort des écrite de Porphyre et de Jamblique, il est guère qu’une reproduction des traits essentiels du héros de Philostrate. Comme Apollonius, Pythagore a fait de longs voyages, pour devenir le réceptacle de toutes les sagesses de la terre. Il a son Domitien dans la personne du tyran Phalaris. Il est fils d’Apollon, comme Apollonius doit l’être de Protée. Il opère d’innombrables miracles. Il est théurge, prédicateur, moraliste, réformateur des abus religieux et politiques. En un mot, le difficile ici est de savoir si le Pythagore des Alexandrins fut un Apollonius antidaté de quelques siècles, ou bien si l’Apollonius de Julia Domna, outre sa ressemblance avec le Christ, fut de plus un Pythagore rajeuni. La vérité pourrait, bien se partager par moitié entre les deux suppositions.

Pourquoi. Philostrate n’avait-il pas, lui aussi, cherché son idéal dans le vénérable philosophe dont la renommée était si grande et la réputation morale intacte ? C’est sans doute que, dans sa préoccupation de ne rien laisser au christianisme qui pût passer pour un titre de supériorité, il trouva, ainsi que son impériale protectrice, Pythagore trop vieux, trop loin des événemens, des institutions, des idées de son temps[1]. Il n’y avait pas moyen de faire avec lui de la politique impériale. Il préféra donc faire revivre, un autre Pythagore sous des traits appropriés à l’époque où il écrivait. La parfaite impuissance des Alexandrins dans l’œuvre de résurrection qu’ils tentèrent en faveur de leur saint patron montre que sur ce point Philostrate et Julia Domna avaient vu très juste, de même que leur impuissance à eux-mêmes, quand il s’agit de faire prendre au sérieux leur mage transfiguré, prouve qu’ils avaient tenté l’impossible. Le résultat est que, si le paganisme du IIIe siècle voulut avoir aussi son Christ, ce Christ ne se trouva point.

Peu de périodes sont plus fertiles en enseignemens dont la philosophie de l’histoire religieuse puisse faire son profit. Il est donc vrai qu’une doctrine religieuse encore nouvelle, mal vue de l’aristocratie, du peuple, de la philosophie, de l’immense majorité, peut s’imposer à ses tout-puissans ennemis au point que ceux-ci se

  1. Il est visible, par exemple, que les éloges décernés par Apollonius à Vespasien, sauveur de l’empire, s’adressent tout aussi bien à Septime Sévère qu’au successeur de Néron.