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et mystérieuse figure de la sagesse antique qui faillit devenir le Bouddha de l’Occident, et qui le serait peut-être aujourd’hui, si l’apparition et le triomphe du christianisme n’avaient pas fait dévier pour jamais le monde occidental de sa direction antérieure : c’est Pythagore. S’il faut du moins s’en rapporter aux traditions qui le concernent, Pythagore avait voué un culte tout spécial à Apollon, et ses disciples des temps plus modernes voulurent plus d’une fois qu’il fût l’incarnation terrestre du dieu de la lumière. Pythagore, ne créa pas seulement une école philosophique ; il laissa derrière lui une association organisée, une sorte d’église, dont les membres, unis par des doctrines et des initiations particulières, prétendaient réformer politiquement et moralement les états où leurs communautés étaient fondées. Sa doctrine religieuse avait quelque chose de profondément mystique, L’univers, selon lui, était un grand chœur où les nombres créateurs vibraient dans une éternelle, harmonie. Il croyait à la transmigration des âmes. Il avait été, lors de la guerre de Troie, cet Euphorbe que l’Iliade représente comme un serviteur dévoué d’Apollon. Comme Bouddha, il avait sa méthode pour atteindre la perfection, et cette méthode, par réaction contre le naturalisme vulgaire, était ascétique, hostile à la vie naturelle, fondée sur les lustrations, les jeûnes, le silence, la continence absolue, la défense de toucher à ce qui pouvait avoir eu vie. Le pythagorisme fut passablement éclipsé par la brillante philosophie de Platon ainsi que par la sévère dialectique d’Aristote, et pourtant Aristote affirme que Platon, devenu vieux, revint au pythagorisme pur, comme on retourne, vers le déclin de l’âge, à la religion qu’on avait oubliée dans les illusions et l’orgueil de l’âge mûr. En tout cas, nous savons par l’histoire que le pythagorisme se réveilla avec une intensité surprenante vers la fin de la république romaine et dans les temps qui suivirent. Des autorités fort compétentes, entre autres le savant M. Zeller, professeur à Marburg, ont cru, dans ces dernières années, pouvoir démontrer que le pythagorisme renouvelé est le vrai père de ces communautés de thérapeutes égyptiens et d’esséniens de Palestine dont l’origine est si obscure. On comprend maintenant pourquoi tous ces philosophes magiciens plus ou moins sérieux des trois premiers siècles sont ou se disent pythagoriciens, et dès lors il n’est pas surprenant que Porphyre et Jamblique, voulant avoir un Christ païen, aient choisi Pythagore plutôt que l’exemplaire suspect que Philostrate leur présentait dans son Apollonius. On a peine aujourd’hui à comprendre le sérieux avec lequel ces deux hommes éminens ont recueilli les contes qui circulaient au sujet du philosophe de Samos. Quel temps que celui où un écrivain tel que Porphyre pouvait