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celle des nobles et prit la parole. Il déploya toute son éloquence : l’état souffrirait beaucoup de cet entêtement de vouloir fixer un terme à la perception des impôts ; le crédit serait perdu… On réfuta tous ses argumens, et toutes les fois qu’il fit sa proposition, on s’y opposa avec force. Cependant la suite du roi était entrée avec lui, et, bien qu’elle n’eût aucun droit de voter, elle criait de tous les coins de la salle. Gustave III voulait profiter de ces cris et de cette confusion pour supposer qu’on avait voté affirmativement et faire dresser la résolution ; mais un membre demanda le scrutin… Gustave s’emporta alors et dit que quiconque s’opposait devenait traître envers la patrie. On vit bien qu’il n’y avait plus de ressources contre la volonté absolue ; Le roi fit rédiger la proposition par le secrétaire et nomma la députation chargée d’en aller faire part aux autres ordres, vers lesquels il se rendit à deux heures ; trois heures sonnaient quand les trompettes annoncèrent la clôture de la diète pour le lendemain. — Ainsi Gustave III a obtenu, par les trois ordres inférieurs, la garantie de ses dettes et l’absence de tout terme à la répartition des nouveaux impôts… Gustave III a ruiné son pays : il l’a chargé de 21 millions de rixdales de dette. Gustave III s’est emparé par la force du pouvoir absolu et ne peut le conserver que par la force. »


Ces dernières paroles n’étaient que trop vraies. Des nobles faits prisonniers contre toute justice le 20 février, deux finalement furent enfermés dans une forteresse : premier exemple d’une punition infligée sans jugement et par la seule volonté du roi. Quant aux conspirateurs d’Anjala, si leur châtiment était mérité, n’en fut pas moins remarqué comme le funeste indice d’un changement de caractère de la part du roi. Notre chargé d’affaires, M. de Gaussen, rend bien l’impression qu’on ressentit à Stockholm quand il mande au ministre des affaires étrangères le 10 septembre 1790 :


« Je cède avec une répugnance infinie au triste devoir de vous parler de l’exécution qui a eu lieu avant-hier. Je ne m’appesantirai point sur des détails que vous auriez autant de peine à lire que j’en aurais à vous les retracer. Je me bornerai à vous dire que le colonel Hästesko a été décapité. Le baron de Klingspor n’a pas été dans le cas de les suivre, vu l’état de démence où il est tombé depuis le jour où on lui a annoncé la confirmation de son arrêt ; son supplice est retardé jusqu’à ce qu’il soit en état de le subir. Il ne reste plus à Fredrikshof que le colonel Montgomeri et le comte de Leionstedt, dont le sort n’est pas encore décidé. Celui du général Armfelt a été d’être conduit quelques jours auparavant à Marstrand. Le général Hastfer a été relégué pour le reste de ses jours dans une terre qu’il a en Finlande. Un morne silence règne dans le pays ; les amis de Gustave III se sont inutilement employés jusqu’aux derniers instans pour le fléchir. Jusque-là on avait eu la plus grande peine à lui faire signer une sentence de mort. On craint les suites du calme avec lequel il a confirmé celle-ci et qu’il a conservé jusqu’à la fin. Assistant la veille à la noce d’une des dames d’honneur de la duchesse de Sudermanie, il y est resté jusque bien avant dans la nuit en montrant une imperturbable gaîté. »