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ministres ; la désunion est générale entre les différens ordres de l’état ; une crise violente approche… » Une fois la révolution engagée, les dépêches se multiplient, et Gustave III les lit avidement. « Ces remarques sont utiles, écrit-il en marge de celle du 29 août 1789. Vous marquerez au baron de Staël de nous faire un tableau détaillé de l’assemblée constituante, de tous les chefs des divers partis, de leurs projets et de leurs talens, de ce qui concerne la personne du roi et de ses rapports avec la reine, avec ses frères, avec ses anciens et ses nouveaux ministres. Vous le chargerez de faire mes excuses à sa femme de ce que je n’ai pas encore répondu à son intéressante lettre. » Il s’agit évidemment de la lettre de Mme de Staël sur la politique de Necker, en date du 16 août, que nous citions tout à l’heure. M. de Staël répondit aux ordres du roi son maître par une importante dépêche du 22 octobre, dont quelques extraits suffiront à montrer de quelle manière et avec quel détail Gustave était informé. L’assemblée compte, suivant le baron de Staël, quatre partis bien distincts. Il place en tête ceux qu’il appelle les aristocrates : M. d’Espréménil, « ce fameux parlementaire si ardent pour la délibération par ordres, » l’abbé Maury, puis les évêques, les courtisans, tous ceux en un mot qui doivent beaucoup perdre au nouvel ordre de choses, et voudraient rétablir, pense-t-il, le gouvernement arbitraire. M. de Staël accable de reproches ce parti-là, non sans quelque raison ; mais il a tort quand il avance que les principaux chefs en sont la reine et le comte d’Artois : c’est confondre des personnes ou des époques fort distinctes. — Le second parti se compose de ceux d’entre les députés qui, convaincus de la double nécessité de conserver la monarchie et de donner au pouvoir exécutif la force nécessaire pour maintenir l’ordre, vantent la constitution anglaise, le système des deux chambres et le veto absolu. Les chefs sont ici M. Mounier, le comte de Lally-Tollendal, le comte de Clermont-Tonnerre, tous les honnêtes gens de l’assemblée et les ministres du roi. Pour M. de Staël, comme pour Mme de Staël et pour Necker, c’est là le seul parti honorable, le seul qui soit bien intentionné ; aussi les démocrates exagérés veulent-ils le faire proscrire. — Vient ensuite la faction du duc d’Orléans, soudoyée par l’Angleterre ; M. de Staël en estime fort peu le chef, à qui il ne reconnaît ni loyauté ni énergie. À cette faction, — car il lui refuse un nom plus honorable, — il croit pouvoir rattacher Mirabeau, mais seulement par des liens de circonstance et peut-être peu durables.


« Le fameux comte de Mirabeau, dit-il, qui se vend tour à tour à tout le monde, qui subjugue par ses talens et son éloquence ceux-là mêmes qui