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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/696

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les instances de la reine, Fersen, qui la croit sauvée, retourne vers Paris. À peine la grande ville est-elle sortie du sommeil que la sinistre rumeur du départ de la cour y circule. Fersen assiste à cette première et terrible effervescence dont il ne prévoit pas le prochain effet, et réussit à partir le soir du 21 juin pour Bruxelles. Le même jour, Gustave III, arrivé depuis une semaine à Aix-la-Chapelle, se rendait à Spa pour être plus près de la frontière. Exactement informé de l’évasion, il se promenait à pied aux portes de la ville, sur la grande route par où devait venir, à l’heure que ses calculs avaient fixée, le courrier annonçant l’heureuse réussite. On le vit errer impatient et inquiet, compter les minutes et les heures, puis rentrer en ville fort troublé. La nuit suivante, pendant son sommeil, le baron Fabian Wrede entra précipitamment dans sa chambre, et l’informa du désastre qui ruinait tant d’espérances.

Dans la pensée du parti de la cour, l’entreprise qui venait d’échouer à Varennes était la suprême tentative offerte à la royauté pour éviter un formidable avenir. Louis XVI passait, non sans raison, pour être captif depuis que les journées d’octobre l’avaient ramené de Versailles à Paris. La cour se flattait de l’idée qu’une partie de la nation et de l’armée même voulait encore sauvegarder la royauté, avec les garanties de la constitution nouvelle. Il fallait seulement, pensait-on, se soustraire à la tyrannie de la capitale, se retirer dans une forteresse avec quelques régimens dévoués, et donner ainsi le temps aux Français restés fidèles de se prononcer et de se compter. On osait croire que l’effet moral d’un tel changement exercerait, sans guerre civile, une profonde influence, ou que, si la guerre civile devait éclater, elle serait courte, et amènerait de part et d’autre des concessions. On espérait en même temps que le concours des forces étrangères, qu’on avait accepté, resterait superflu : vaines illusions, qui étaient dissipées cruellement. Le parti de la cour, annulé depuis que ses chefs naturels se voyaient condamnés à l’inaction, allait se diviser. À côté de ce qu’il faut appeler désormais le parti du roi, bien impuissant par lui-même, il y a maintenant le parti des princes avec la plus grande partie de l’émigration groupée autour d’eux, C’est ici, à vrai dire, que se retranche l’esprit de la contre-révolution ; Gustave III veut en devenir le héros.


A. GEFFROY.