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IV.

Dès l’installation de la contre-guérilla française à la Soledad, un nouveau rôle allait commencer pour elle. Après avoir jusque-là vécu presque indépendante, elle allait occuper le même bivouac que les compagnies de la légion étrangère, composées aussi de soldats venus de tous les coins de l’Europe pour servir sous le drapeau de la France. Ses mouvemens seraient de plus en plus subordonnés aux opérations de l’armée régulière, dont elle assurerait les communications avec la Vera-Cruz en escortant les convois de vivres ou d’armes, et en faisant une guerre sans merci aux bandits des terres chaudes. Dans ce bourg de la Soledad, dont le nom rappelle une tentative diplomatique restée sans résultat, la troupe arrivée de Medellin allait connaître la vie des camps sous une forme à la fois plus large et plus sévère.

Quelques mois auparavant, la Soledad était un misérable pueblo (village), formé de quelques maisons en plâtre peintes à la détrempe en rouge ou en bleu, couvertes de chaume et à moitié détruites. A droite, sur les rives escarpées du Jamapa, s’élevait une petite église en bois, blanchie à la chaux. Un peu en avant, la posada, délabrée et sale comme les auberges mexicaines, se décorait du nom de casa de las diligencias (maison des diligences), pour attirer les voyageurs amenés chaque jour par les voitures de Vera-Cruz, d’affreux véhicules rouges d’origine américaine, où, grâce aux cahots, au soleil et à la poussière, on endurait tous les supplices de la question. Sur la place du marché, déserte comme le village, on voyait encore plantés en terre les débris des parasols de palmier qui servaient d’abri pendant les fortes chaleurs aux Indiens vendant les produits de leurs jardins. Tous ces détails, qui donnaient à la Soledad une physionomie si humble et si rustique, avaient à peu près disparu au mois de mai 1863, et la petite bourgade offrait dès cette époque toute l’animation d’un poste militaire. Un fortin bien armé dominait les environs. Au bord du Jamapa, l’administration française avait installé son hôpital, si nécessaire aux nombreuses victimes des terres chaudes laissées en arrière par les régimens et les détachemens qui montaient successivement sur les hauts plateaux. En face s’étaient établis les magasins de ravitaillement ; çà et là, sous les grands arbres, les soldats avaient planté leurs tentes, et dans le lointain, cachés sous les bosquets de verdure, les postes avancés surveillaient les routes, sillonnées par les attelages et les troupeaux de mules des arrieros emportant les approvisionnemens de l’armée à Orizaba.