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Sarrazins, apprirent d’eux à les vaincre, et, en marchant sur le centre de l’empire grec, héritèrent à main armée de la moitié du monde romain. Les Turcs ont quelques qualités, encore bien sont-elles en déclin, le courage par exemple et une certaine aptitude au commandement ; pourtant une évidente infériorité d’intelligence, un fonds d’insensibilité et de stupidité orgueilleuse en font des maîtres corrupteurs et abrutissans. Ils ont fait de leur religion le symbole de l’inertie et de la tyrannie ; ils ont humilié, abaissé les Arabes, qui les redoutent et leur échappent, et quoique dans notre siècle on ait cru apercevoir les symptômes d’une réaction de la nationalité arabe contre la domination des Ottomans, ce ne sont encore que des indices bien vagues ; une grande incertitude règne encore sur la portée de ces faibles oscillations, et l’avenir du monde mahométan reste un problème digne d’exercer la sagacité de ceux qui osent risquer des prédictions sur les destinées des sociétés humaines. Il semble chimérique d’espérer d’ici à longtemps un progrès sérieux pour les nations musulmanes ; rien n’est plus hasardé non plus que le pronostic souvent exprimé de l’anéantissement de leur informe puissance et surtout de leur religion. Allah ne cessera pas d’être Dieu, et Mahomet restera longtemps encore son prophète.

Trois questions pleines d’inconnu nous paraissent donc ressortir des réflexions précédentes, et elles mériteraient d’attirer l’attention pénétrante de M. Barthélémy Saint-Hilaire.

Comment une foi aussi simple, aussi dénuée de prestige que l’islamisme, a-t-elle pu s’emparer aussi rapidement, aussi puissamment de l’esprit d’une nation nombreuse qui n’était point organisée en société politique ? Comment a-t-elle pu devenir et rester la croyance persistante et passionnée de cent millions d’hommes ?

Comment une révolution religieuse locale a-t-elle produit au dedans et au dehors de promptes et vastes conséquences politiques et militaires, qui ont amené des créations, des changemens et des destructions d’empires, et affecté pendant plusieurs siècles le sort du monde ?

Comment ensuite ces conséquences se sont-elles atténuées, effacées, en telle sorte qu’il en est resté peu de vestiges, que les Arabes ont paru revenir au point de départ tout en conservant leur religion, et que l’on peut douter que leur état social et politique fût aujourd’hui fort différent si Mahomet n’eût pas existé ?


VII

Le mahométisme, de l’aveu de son fondateur, est la religion d’Abraham, dont le temps, au dire de Bossuet, est le temps de la