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« loi de nature. » On peut donc admettre que le mahométisme est dans son fond la religion naturelle, c’est-à-dire un théisme simple, la foi dans un Dieu créateur et dans la vie future. Par là, il est pur du polythéisme des croyances païennes, du panthéisme, dont on retrouve les traces dans les traditions des brahmanes, du nihilisme, qui constitue la dogmatique du Bouddha. Il est ainsi supérieur aux trois fausses religions les plus célèbres et les plus étendues de l’univers. On doit comprendre maintenant pourquoi il a obtenu de la part d’un philosophe comme M. Saint-Hilaire une bienveillante équité que plusieurs appelleront de l’indulgence.

Pour le fond en effet, un théisme naturel ne diffère point de la philosophie spiritualiste que M. Saint-Hilaire professe. Sous les traits mêmes de l’islam, il est pour lui plus près de la vérité que les systèmes hasardeux renouvelés de Démocrite, d’Épicure ou de Spinosa, qui cherchent à se saisir de l’esprit du siècle. Cette religion est pour lui plus philosophique que plus d’une philosophie. Peu lui importe que, soit artifice, soit illusion, Mahomet ait dit l’avoir reçue de Dieu par la voix d’un ange. Il aurait de sa propre bouche annoncé les prodiges que les croyans attribuent à sa mule ou à sa colombe, que ces additions emblématiques ou fabuleuses inquiéteraient peu notre philosophe ; elles seraient le signe et comme le vêtement obligé d’une religion, c’est-à-dire d’une prédication populaire, d’une croyance commune à toute une nation. Ces sortes de légendes distinguent toute doctrine qu’elles accompagnent d’une doctrine de philosophe, fruit de l’étude et de la méditation individuelles : elles ne touchent en rien à la substance, elles ne compromettent point la vérité du dogme, et des fictions mêmes sont innocentes si elles sont les seules conditions auxquelles un peuple accepte la vérité.

C’est là ce qui ressort d’une introduction importante dans laquelle, avant de parler d’une religion en philosophe, M. Saint-Hilaire a voulu s’expliquer catégoriquement et définitivement sur les rapports entre la religion et la philosophie. C’est un morceau composé avec une franchise et une conviction qui touchent profondément, et que seconde un talent simple, mâle et élevé ; le style a toutes les qualités de la pensée. L’auteur n’a peut-être jamais mieux écrit. La solution qu’il donne à la grave question qu’il se pose est pleine de sagesse. Il faut l’accepter, tout au moins comme un bon conseil, surtout si Voltaire a eu raison de dire que la paix

Est d’un prix aussi grand que la vérité même.


Je vais plus loin : la vérité se rencontre à chaque page de cette remarquable introduction. L’auteur y dit une foule de choses justes,