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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/858

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dans les universités allemandes, une grande philosophie, celle de Leibnitz, mais systématisée, régularisée à l’excès, réduite en formules par Wolf, encore appauvrie et desséchée par ses disciples. Comment, sous ce fatras d’une sorte de scolastique renaissante, le jeune étudiant aurait-il pu sentir les divines harmonies, l’âme de cette philosophie dont il devait plus tard transporter quelques conceptions dans sa pensée, et qui même lui fournit dans une occasion mémorable, le jour des funérailles de Wieland, la matière d’une de ses plus belles inspirations philosophiques, d’un dialogue vraiment digne de Platon par l’émotion et par la grandeur des idées ? Il faut voir de quel l’on il juge dans ses mémoires cette philosophie d’école qu’il n’apprit que pour la mépriser. Il y a là quelques traits qui rappellent un passage célèbre du Discours de la Méthode, et je dirais presque qu’on y retrouve l’accent de Descartes. « Dans la logique, il me semblait bizarre que ces grandes opérations de l’esprit que j’avais exécutées dès mon jeune âge avec la plus grande facilité, il me fallût les mettre en pièces, les isoler et presque les détruire, pour en découvrir le véritable usage. Sur l’être, sur le monde, sur Dieu, je croyais en savoir autant que le maître lui-même. » Il s’enhardit à penser tout seul, et le spectacle d’une sorte de renaissance du sens commun dans l’Allemagne protestante l’y encouragea. « La philosophie de l’école, qui en tout temps a le mérite d’exposer, sous des rubriques déterminées, dans un ordre arbitraire et selon des principes reçus, tout ce qui peut être l’objet de la curiosité humaine, s’était souvent rendue comme étrangère, fastidieuse, et enfin inutile à la foule par l’obscurité et l’apparente frivolité du fond, par l’emploi inopportun d’une méthode respectable en elle-même et par son application trop vaste à un grand nombre d’objets. Bien des hommes se persuadèrent que la nature leur avait donné autant de bon sens et de jugement qu’ils pouvaient en avoir besoin pour se faire des choses une idée claire, au point de pouvoir s’en démêler eux-mêmes et contribuer à leur progrès et à celui des autres sans s’inquiéter péniblement de l’universel, ni rechercher comment s’enchaînent les objets les plus éloignés qui ne nous intéressent guère. On essaya ses forces, on ouvrit les yeux, on regarda devant soi… Chacun se crut autorisé à philosopher et même à se considérer un peu comme un philosophe. La philosophie était donc un sens commun plus ou moins sain, plus ou moins exercé, qui se hasardait à généraliser et à prononcer sur les expériences intérieures. Un discernement clair des choses et une modération d’humeur qui permettaient de chercher le vrai dans la route moyenne entre les opinions extrêmes et dans l’équité envers chacune d’elles assurèrent aux écrits et aux discours de ce genre la confiance et l’autorité. Il se trouva de la sorte des philosophes