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çà et là, un air d’élégance et d’aristocratie. Quelques monumens d’un style simple, mais assez noble, mêlent leurs masses sévères aux cottages de ce quartier tranquille. Vers le centre de la ville, sur une vaste place plantée d’arbres, s’élève la colonnade du Court-House. Partout les pourceaux émancipés promènent impunément sur les trottoirs leurs groins provocateurs.

Je voulais partir le soir même pour la fameuse caverne du Mammouth, qui est située sur le chemin de fer de Nashville, à peu près à mi-route. Par hasard, en me promenant dans les rues, j’achetai un journal et je vis annoncé pour le soir même un grand meeting démocrate en face du palais de justice. Les wards ou quartiers étaient convoqués d’avance dans leurs lieux de réunion respectifs, et devaient se rendre, enseignes déployées, tambours battans, sur le perron de l’édifice. Vers huit heures, au lieu d’aller au chemin de fer, je me mis à la mode américaine ; cela veut dire que je pris mon pistolet dans ma poche. Le meeting promettait d’être nombreux et enthousiaste. Qui sait si les troupes de passage dans la ville ne s’aviseraient pas d’intervenir ? On les servirait d’ailleurs à souhait, et, quoique étranger à la bagarre, il était prudent de pouvoir se retrancher sous la sauvegarde d’un bon revolver armé de six balles ; mais la violence même des sentimens démocratiques de Louisville, la presque unanimité de la population fut justement ce qui assura au meeting une liberté entière. Pour faire respecter son droit, il n’est rien de tel que d’avoir la force.

Il y avait donc quelques soldats mêlés à la foule comme auditeurs, mais on ne voyait pas la queue d’un fusil ni d’un sabre. Tout Louisville était dans les rues et marchait vers la grande place. Les boutiques étaient fermées ; il y avait de grands feux de joie à tous les carrefours, les pétards tonnaient, les fusées sifflaient de tous côtés : les pauvres Diogènes des rues couraient effarés à travers la foule. Rien de plus pittoresque et de plus animé que l’aspect de la grande place. Une multitude immense s’accumulait devant la façade du Court-House, autour d’une fragile estrade éclairée de quelques lampes fumeuses. En face, sur les degrés du palais, se tenaient rangées les députations des wards avec leurs torches, leurs bannières et de grandes lanternes de toile qui portaient sur leurs quatre faces des devises burlesques : Comment vas-tu, Abraham ? — Plus de springfield-jokes aujourd’hui ! (Vous savez que le président Lincoln est célèbre pour ses jokes ou bons mots.) Plus de tes drogues, vieux charlatan[1] ! — Old Abe est un cheval, Mac-Clellan un cavalier. — Mac-Clellan est un nouveau Washington. — La lumière

  1. No more of this rubbish, old pills !