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les faubourgs de New-York aux beaux quartiers de Paris ou de Londres.

Il y a des choses délicieuses dans le sud de l’Indiana, des contrées montagneuses couvertes d’immenses forêts, percées çà et là de grandes cultures de maïs. J’aime l’aspect de ces beaux champs dorés arrondis à l’ombre des futaies, sur les premières croupes de la montagne. Les rivières jaunes et limoneuses, mais calmes, coulent dans des vallons pleins d’une végétation exubérante, entre deux haies de forêts séculaires, où les platanes, les sycomores aux feuilles lustrées, les ormes à la taille svelte et noble, les cotonniers aux guirlandes pâles, les chênes-lièges à fine et sombre ramure s’inclinent sur les eaux et y trempent leurs branches. Il y a dans la profondeur de ces forêts des retraites sombres et humides, où dorment sans bruit sur les feuilles mortes de petits ruisseaux noirs et encaissés. L’Ohio est moins pittoresque et plus cultivé. A la station de Mitchell, où s’embranche le chemin de fer de Louisville, nous trouvons des soldats campés le long de la voie. Des enfans vont et viennent, vendant des œufs et des gâteaux. Dans le wagon délabré où je trouve place à grand’peine, on crie, on chante ; l’uniforme bleu règne et domine. Voilà mes compagnons de voyage habituels.

La population du « vieux Kentucky » diffère visiblement de celle des états du nord. Les Kentuckiens sont grands, forts, hardis, pleins de mouvement et de vie : ils plaisantent, rient, parlent haut, chantent à tue-tête. Ils n’ont pas la gravité sèche et raide des Yankees leurs cousins. Les femmes surtout ont un type marqué et singulier : grandes, viriles, dures de traits et d’expression ; elles sont d’ailleurs renommées pour la violence de leurs passions politiques. Les nègres encore esclaves abondent au Kentucky. La population allemande, venue de Cincinnati, est fort nombreuse à Louisville, et, pour compléter la revue des races diverses qu’on y rencontre, les rues sont habitées par un peuple de pourceaux nomades qui semblent mener dans les tas d’immondices une vie libre, abondante et délicieuse. Louisville est pourtant une grande et agréable ville de quatre-vingt mille âmes, située sur l’Ohio, à l’endroit où des bas-fonds et des rapides, qu’on appelle emphatiquement les chutes, en interrompent la navigation pendant l’été. Un canal creusé dans le roc tourne l’obstacle et peut recevoir d’assez gros steamers. La vallée en cet endroit est large, riante et fertile. La rue principale, bordée d’hôtels et de monumens publics, a vraiment un grand air ; la ville basse, aux environs du port, est un cloaque ; la ville haute au contraire, plantée d’arbres, largement percée, bâtie de petites maisons coquettes entourées de jardins fleuris, garde encore, malgré la boue et les sales masures qu’on rencontre