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deviennent furieuses : à leur tour, il leur faut du sang. C’est surtout parmi les gens des border-states que l’armée fédérale recrute ces scouts, ces éclaireurs, ces enfans perdus, dont on raconte à la veillée les aventures héroïques et terribles. On tue un rebelle comme un chien ou un loup. Des hommes qui ont vu leur père pendu, leurs enfans massacrés, leurs femmes outragées, leurs récoltes et leurs maisons livrées aux flammes, appartiennent tout entiers à leur vengeance. Il n’y a point de place en eux pour la pitié…

Je vais rester ici deux jours : ce n’est pas trop pour visiter la fameuse caverne. Je regrette beaucoup d’être ignorant, car ce pays est riche en curiosités géologiques. Sur les sommets des petites montagnes, répandues irrégulièrement par groupes ou par chaînes capricieuses à travers la plaine, on trouve à chaque pas des entonnoirs sans issue, comme les cratères d’un volcan. La plupart aboutissent à des fissures, plusieurs à des trous béans et insondables. Il y a près d’ici, à Munfordsville, un de ces abîmes qui semble n’avoir pas de fond. Le pays tout entier est criblé de cavernes et miné par les eaux souterraines. Les sources minérales, les fontaines intermittentes, abondent dans les vallées. Voilà tout un monde d’observations et d’idées qui m’est fermé par mon ignorance. Je n’en vais pas moins faire mon pèlerinage dans les régions infernales.


19 septembre.

A deux pas de l’hôtel, dans un entonnoir plein de verdure, s’ouvre la gueule noire de la caverne. On y descend par quelques marches grossières, puis on s’enfonce sous la montagne une lampe à la main. Le jour s’efface, disparaît ; on n’a plus d’autre clarté que la lueur jaune d’une mèche fumeuse.

On s’avance d’abord dans un long corridor, entre deux murailles de pierres sèches. Le guide raconte qu’en 1812 on établit là une exploitation de salpêtre et une fabrique de poudre à canon. On voit encore sur la terre, alors molle, mais à présent durcie, l’ornière des roues des charrettes, l’empreinte des pieds des bœufs. De grands trous creusés de main d’homme, quelques échafaudages de poutres, et des anneaux naturels dans le rocher, où l’on avait coutume d’attacher les attelages, sont tout ce qui reste de la fabrique. Près de là s’aligne une rangée de maisonnettes bâties, il y a quinze ans, pour les poitrinaires : tous ceux qu’on y envoya moururent en peu de semaines, et la caverne n’a plus maintenant pour habitans que les milliers de chauves-souris, de rats et de lézards qui y prennent leurs quartiers d’hiver.