Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/898

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peu à peu le toit s’élève ; on traverse d’immenses salles subitement éclairées par une pièce d’artifice que le guide jette adroitement sur quelque entablement du rocher. L’une est remarquable par les déchirures bizarres de ses parois, celle-là par son dôme circulaire, celle-ci par une masse de rochers tombés de la voûte, qui s’élève au milieu comme une estrade. Le guide les nomme successivement, — la rotonde, le vestibule, l’église méthodiste, la salle de bal, — et tant d’autres dont j’oublie les noms. Parfois la voûte s’abaisse, on marche tête courbée ; mais l’ensemble de cette longue galerie est vaste, grandiose et monumental.

Tout à coup nous tournons à droite et nous nous engageons dans une étroite fissure. Ici le chemin semble barré. La caverne est semée partout de labyrinthes et de chausse-trapes. On monte, on descend, on rampe péniblement dans un corridor escarpé ; puis on entre dans quelque vaste salle où les eaux tournoyantes ont arrondi une coupole haute de cent pieds. On rencontre ici des abîmes noirs et inconnus, là des galeries qui plongent dans une profondeur effrayante. Le guide se démêle sans peine au milieu de ces méandres, et vous conduit d’un pied sûr, à travers les ténèbres, au bord du bottomless pit (puits sans fond).

Ne vous effrayez pas du nom : le bottomless pit a un fond, même assez rapproché, si j’en dois croire mes oreilles : j’entends très distinctement les gouttes d’eau y tomber une à une. J’y peux même jeter une pierre sans l’exposer à la triste aventure de bondir de roche en roche et de rouler à travers l’espace sans jamais trouver de repos. Le spectacle n’en est pas moins surprenant et terrible. Imaginez une galerie horizontale brusquement interrompue : profondeur sombre sous les pieds, profondeur sombre au-dessus de la tête. Un pont de bois franchit le précipice. Imaginez enfin le silence, la solitude, l’atmosphère étouffée et sépulcrale, et nos deux ombres penchées sur l’abîme à la lueur faible de nos lampes vacillant dans les ténèbres.

La caverne a une foule de ces crevasses gigantesques où jadis les eaux s’engouffraient sous la terre et se précipitaient dans les réservoirs souterrains. Elles s’y glissent encore par d’invisibles fissure, et s’en échappent par des conduits submergés dont on ne peut découvrir l’entrée. Les voûtes sont ogivales, les parois taillées en piliers comme par une main cyclopéenne. Quand on s’y trouve suspendu dans l’espace, on se croirait dans la nef de quelque cathédrale haute de trois cents pieds : c’est la hauteur de l’un de ces puits, le plus profond de tous, quoiqu’il ne s’appelle pas bottomless. L’an dernier, un Anglais voulut en explorer la profondeur pour immortaliser son nom. On le fit descendre au bout d’une corde : il y avait