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rompt à chaque instant. Que de chefs-d’œuvre mutilés ou réduits en poussière ! Que d’écrits tronqués ou perdus ! Cependant, grâce au nombre et à la valeur des ouvrages qui ont échappé à la ruine, grâce aussi à la merveilleuse unité de l’esprit grec, dont les changemens uniformément variés marquent de caractères communs les productions d’une même époque, les vues d’ensemble sont possibles et permises, pourvu qu’elles aient été préparées par une exposition savante et une discussion sévère des textes et des faits. C’est ainsi que, dans ces dernières années, des essais consciencieux, quoique limités et timides encore, sur les affinités plus ou moins secrètes et les traits de ressemblance plus ou moins frappans que présentent la plastique et la métaphysique des Grecs, ont été accueillis par les hommes compétens avec une encourageante faveur. À côté de ceux qui refont patiemment l’anatomie de la société grecque, en ramassant deçà et delà jusqu’aux moindres débris de ce beau corps, on a pensé qu’il y avait place pour ceux qui aiment à en retrouver la physiologie et à se demander comment ces membres, épars aujourd’hui, se joignaient, s’unissaient, influaient les uns sur les autres et composaient une organisation vivante et féconde. Cette double façon d’envisager l’antiquité hellénique a produit, à l’École française d’Athènes, deux courans d’études distincts, quoique parallèles, et deux groupes de travailleurs. Les uns, actifs, intrépides, infatigables, véritables soldats de l’érudition, bravant les dangers et les maladies, ont exploré avec succès et enrichi le champ des découvertes archéologiques et littéraires. Les autres, voyageurs aussi et partageant fraternellement les fatigues des premiers, mais portés par goût aux méditations contemplatives, ont essayé, à leurs risques et périls, de remonter des faits historiques à leurs lois et des résultats esthétiques à leurs causes. C’est à ce dernier groupe qu’appartiennent, entre autres, M. Burnouf, bien connu des lecteurs de la Revue, M. Fustel de Coulanges, dont l’heureux début a été annoncé ici même, il y a peu de jours, par un habile critique, et M. Émile Gebhart, auteur d’une intéressante Histoire du sentiment poétique de la nature dans l’antiquité grecque et romaine, et d’un ouvrage sur Praxitèle qui nous paraît mériter une attention particulière.

Le livre de M. Gebhart a pour objet d’expliquer à un point de vue philosophique, et par l’histoire même de la philosophie, non-seulement les vicissitudes de la sculpture, mais celles du génie grec sous toutes ses formes, depuis le moment de son plus grand éclat jusqu’aux jours de sa décadence. L’importance de la question, la nouveauté de la méthode, le talent de l’auteur, que des juges autorisés et peu suspects de faiblesse ont récemment appelé « un brillant