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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/952

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aspirait à goûter les jouissances les plus diverses et qui n’eut rien d’égal à son intelligence, si ce n’est son pouvoir de sentir et son ardeur à poursuivre la volupté, ils répétaient que la volupté est mortelle à l’homme. On a pu trouver à ces adversaires de la passion des antécédens philosophiques ; mais en dehors du cynisme, qu’ils modifièrent d’abord considérablement, à ne regarder que parmi les artistes et dans la société contemporaine, quel courant d’idées avait donc favorisé le développement des leurs ? On n’a pas su le découvrir encore. Il n’y a donc pas moyen de les considérer comme des produits nécessaires de leur temps, de leur race ou de leur climat, ou, en un mot, de leur milieu. Le stoïcisme reste un phénomène inexplicable et un effet sans cause pour quiconque refuse de reconnaître que l’homme porte en lui-même la faculté de choisir son rôle, sa conduite, ses pensées, ses erreurs, en dépit des influences physiques ou morales qui l’environnent et le pressent. Dira-t-on que cette fière et libre doctrine fut le résultat d’une réaction ? Mais alors pourquoi cette réaction n’étendit-elle ses effets que sur un groupe d’âmes d’élite, et pourquoi le succès de leur entreprise fut-il de leur temps si incomplet ? Un mouvement de réaction assez fatal et assez fort pour enfanter de tels penseurs n’eût-il pas jeté dans leur école autant de disciples qu’en peut attirer une grande philosophie ? Or il n’en fut pas ainsi. Non-seulement les fondateurs du stoïcisme heurtaient de front la société grecque par l’âpreté de leurs principes, mais de plus ils semblaient s’attacher à lui déplaire par un dédain absolu de ce qui peut, dans la forme, attirer et captiver les hommes. D’après certains écrivains, Zenon s’entourait de gens oisifs, pauvres et mal vêtus, quoique d’autres rapportent qu’il n’aimait pas la foule, et qu’afin de l’écarter il exigeait parfois une rétribution de ses auditeurs. Dans une ville éprise des charmes du beau langage, il exposait ses théories en termes froids et souvent concis jusqu’à l’obscurité. Il disait à ce peuple d’artistes qu’on ne devait élever aux dieux ni temples ni statues. Aussi les progrès de sa doctrine furent-ils lents et bornés, tandis que, selon Diogène de Laërce, des villes entières n’auraient pu contenir les amis d’Épicure et cette foule de disciples que retenait auprès de lui le charme de sa philosophie. On ne voit pas, du moins jusqu’ici, que les spéculations des stoïciens sur la beauté aient exercé une action quelconque sur les arts, ni au commencement, ni plus tard, à moins qu’on ne se risque, sans preuves suffisantes, à regarder comme un des résultats de leur morale le goût du colossal et la recherche de l’effet à outrance qui caractérisa la sculpture après Alexandre. Une seule de leurs idées paraît avoir fait un chemin assez rapide et conquis une assez prompte popularité : nous voulons parler de ce