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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/994

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vation de l’air : l’air plus froid qui le remplace et vient des régions boréales est animé d’une moindre vitesse de rotation et semble par conséquent souffler en sens opposé au mouvement de la terre.

D’Alembert donne à peine une ouverture sur cette cause décisive et prépondérante et n’en parle que pour refuser de s’en occuper. « J’avoue, dit-il, que la différente chaleur que le soleil répand sur les parties de l’atmosphère doit y exciter des mouvemens ; je veux même accorder qu’il en résulte un vent général qui souffle toujours dans le même sens, quoique la preuve qu’on en donne ne me paraisse pas assez évidente pour porter dans l’esprit une lumière parfaite ; mais si on se propose de déterminer la vitesse de ce vent général et sa direction dans chaque endroit de la terre, on verra facilement qu’un pareil problème ne peut être résolu que par un calcul exact ; or les principes nécessaires pour ce calcul nous manquent entièrement, puisque nous ignorons et la loi suivant laquelle la chaleur agit et la dilatation qu’elle produit dans les parties de l’air : cette dernière raison est plus que suffisante pour nous déterminer à faire ici abstraction de la chaleur solaire, car, comme il n’est pas possible de calculer avec quelque exactitude les mouvemens qu’elle peut occasionner dans l’atmosphère, il faut nécessairement reconnaître que la théorie des vents n’est susceptible d’aucun degré de perfection de ce côté-là. » Ces lignes remarquables, qui révèlent un côté fort important de l’esprit de d’Alembert, contiennent une déclaration de principes bien dangereuse pour les progrès de la physique. D’Alembert ne veut accepter que des problèmes bien posés et bien purs, dont l’énoncé permette une solution exacte et achevée ; non content de négliger ce qui est petit et sans influence sensible, il écarte avec dédain tout ce qui, lui semblant mal connu et mal déterminé, diminue la netteté du problème et en altère la beauté.

C’est la même tendance qui plus tard et dans un autre ordre d’idées devait le conduire à restreindre, presque jusqu’à l’annuler, le champ de la métaphysique et de la philosophie. Malgré l’habileté qu’il y déploie, l’insuffisance de la théorie de d’Alembert est visible d’ailleurs au premier coup d’œil ; la grandeur et la direction actuelle des vents dépendraient en effet, suivant elle, aujourd’hui encore, de l’état initial des couches atmosphériques, sans que les frottemens et les chocs renouvelés depuis le commencement du monde en aient dissipé l’influence. Le prix accordé à d’Alembert fut-il donc le résultat d’une méprise, et le titre de membre de l’Académie de Berlin était-il immérité ? Il y aurait grande injustice à le croire. Dans l’ouvrage sur les causes des vents, on reconnaît à chaque page le grand géomètre profondément instruit de la science du