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ron, un certain nombre de maisons de commerce européennes qui devaient faire une concurrence redoutable aux indigènes. Ces circonstances locales avaient produit parmi les habitans une grande excitation, qui, suivant l’usage, prit facilement le caractère du fanatisme religieux. De lugubres scènes marquèrent la journée du 15 juin 1858. Les consulats de France et d’Angleterre furent envahis par une population furieuse, et les deux consuls assassinés[1].

Du reste, les pèlerins de La Mecque et de Médine ne sont pas eux-mêmes plus favorisés que les étrangers sous le rapport de la sécurité. Depuis le départ des Égyptiens, les routes n’ont été complètement libres que lorsque l’administration turque a payé aux Arabes le tribut auquel ils croient avoir droit. En 1853, les pèlerins étaient obligés de rétrograder; le même fait s’est reproduit en 1858. La puissante tribu des Harb a plusieurs fois assiégé la garnison de Médine. En 1859, Mustapha-Pacha Scodrali, personnage célèbre dans les fastes de la Haute-Albanie[2], avait été nommé gouverneur des villes saintes. Il eut l’idée de se rendre directement de Jambo à Médine, et fut obligé de rétrograder en toute hâte, quoiqu’il eût payé de fortes sommes aux Bédouins, qui avaient promis d’assurer son passage.

Une nouvelle crise éclata en 1861, et voici à quelle occasion dans la ville de Rabegh, un soldat turc surprit un Bédouin qui entrait chez lui pour voler, et le tua. La tribu de ce Bédouin réclama le prix du sang, que le pacha refusa d’acquitter. Les Bédouins, mécontens de ce qu’on ne leur avait pas payé depuis deux ans le tribut accoutumé, vinrent mettre le siège devant Rabegh; mais le pacha avait eu le temps d’y envoyer trois cents hommes de garnison et deux pièces de campagne. Une quinzaine de Bédouins et quelques soldats turcs furent tués dans une sortie. Du reste, la terreur que l’artillerie inspire aux Arabes les empêcha de rien entreprendre de sérieux contre la place. Le grand-chérif de La Mecque ayant offert sa médiation, les tribus demandèrent qu’on leur payât l’arriéré du tribut et qu’on leur permît d’égorger autant de Turcs qu’il avait péri d’Arabes depuis la reprise des hostilités. Ces conditions ne pouvaient être acceptées. Le grand-chérif tenta lui-même contre les Arabes une expédition ou plutôt une razzia, qui n’eut d’autre résultat que de soulever les tribus qui étaient restées tranquilles, et qui furent les premières victimes des dévastations. Cet

  1. On connait les dramatiques incidens de cette journée. L’Annuaire des Deux Mondes (tomes VIII et IX) les a racontés avec détail, et ce serait nous écarter d’ailleurs du plan de ce récit que de revenir sur les attentats dont furent victimes le gérant du consulat anglais M. Page et le consul français M. Éveillard.
  2. Voyez Histoire et description de la Haute-Albanie ou Guégarie, par Hecquard.