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elle, tenait sa tête entre ses mains, et s’efforçait de comprimer ses sanglots. Flora promenait ses yeux noirs sur les malheureux Legoyen, qui s’abandonnaient au désespoir. Se levant avec énergie, elle s’avança au milieu du salon et s’écria de sa voix vibrante :

— Mon Dieu, mon Dieu ! je n’y tiens plus ; c’est déchirant. Monsieur Albert, je vous en prie, conjurez M. Legoyen d’accepter les offres que lui fait mon oncle… Et vous, Emma, ne vous désolez pas ainsi. Vos gémissemens me font un mal affreux !…

Puis, se jetant au cou de celle-ci et écartant les mains qui cachaient son visage : — Chère Emma, ajouta-t-elle tout bas avec mille caresses, ne savez-vous pas que mon oncle vous aime ?… Eh bien ! épousez-le tout de suite ; vous redeviendrez riche, vous serez ma tante… Oh ! comme je vous aimerai… Emma, regardez-moi, ma toute belle, et ne pleurez plus !… Ah ! bah ! mon oncle vous tirera tous de ce mauvais pas, si vous y consentez…

À ce moment-là, la petite Panthère noire avait tant de persuasion dans la voix, tant de douceur dans le regard, que la pauvre Emma la pressait sur son cœur et couvrait de baisers sa joue brune. — Que vous êtes bonne, Flora !… Vous voudriez nous tirer de l’abîme où nous voilà plongés, mais cela ne se peut…

— Je vous dis que c’est possible, reprit Flora en parlant si bas que l’on eût cru entendre le bourdonnement du colibri dans le calice d’une fleur. Mon oncle vous aime ; vous le savez bien, n’est-ce pas ?… Peut-être l’aimez-vous aussi…

Mlle Trégoref la serrait plus fort dans ses bras pour étouffer sa voix indiscrète, et moi je triomphais de voir l’âme ardente de Flora se révéler avec tant d’éclat au milieu de cette grande catastrophe.

— Mon oncle, mon cher oncle, reprit Flora avec exaltation, voyez donc Emma, comme elle pleure ! Monsieur Legoyen, il vous suffit d’un mot pour faire rayonner ces beaux yeux : acceptez les offres de mon oncle, laissez-le s’associer avec vous ; dites oui !… Dites-le pour vous, pour votre femme, pour votre belle-sœur et pour moi…

Parlant ainsi, elle passa ses petits bras autour du cou de mon cousin Legoyen : celui-ci n’y tint plus, je crus que l’émotion allait le suffoquer.

— Attendez, mademoiselle, dit-il d’une voix entrecoupée, attendez… J’estime qu’il me restera encore, tous comptes faits, quelque chose comme…

— Peu importe le chiffre ! interrompit Flora. Vous comprenez bien, monsieur Legoyen, qu’il faut qu’Emma épouse mon oncle : elle sera vicomtesse, et puis… tout s’arrangera. S’il faut que les affaires des Philippines soient réglées, eh bien ! votre cousin, M. Albert, qui aime les voyages…

Pour le coup, je me sentis moi-même comme terrassé par une