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concilier l’affection de ses nouveaux sujets, ni la force qui l’eût mis en état de triompher de leur inimitié, fut plus que balancé par le tort moral et matériel que firent à l’Espagne la révolte et la séparation des Pays-Bas.

La révolution des Pays-Bas est peut-être l’événement le plus important du règne de Philippe II, celui qui en indique le mieux le caractère en établissant la ligne de séparation la plus exacte entre le mouvement ascendant de la puissance espagnole et l’ère de la décadence. Elle a été souvent racontée, et M. Rosseew Saint-Hilaire se complaît évidemment dans le récit qu’il en fait. On le comprend sans peine de la part d’un esprit si fortement attaché à la cause de la réforme religieuse. C’est en effet une des phases les plus glorieuses de l’histoire du protestantisme ; j’ajouterai, et cela explique l’intérêt qu’elle a inspiré à un si grand nombre d’écrivains, que c’est peut-être la révolution la plus légitime, la plus irréprochable que présentent les annales du genre humain.

Aux yeux des hommes qui ne séparent pas la politique de la morale, plusieurs conditions sont nécessaires pour légitimer ce qu’on appelle une révolution, c’est-à-dire la substitution d’un gouvernement nouveau au gouvernement établi et le renversement total ou partiel des institutions d’un pays opérés par des moyens violens et en dehors des voies régulières. Il faut que le gouvernement renversé se soit rendu intolérable à ses sujets en violant, ou les lois de la justice universelle, ou les engagemens particuliers qu’il avait contractés ; il faut qu’avant de recourir contre lui à la force, l’on ait épuisé tous les moyens pacifiques et réguliers de le ramener au droit et à la raison ; il faut enfin que les sujets n’aient pas provoqué par leurs propres excès ceux dans lesquels ils cherchent la justification de leur révolte, et que dans leur hostilité contre le gouvernement ils ne l’aient pas en quelque sorte poussé vers l’abîme par des provocations, gratuites. Ce ne sont pas là seulement les conditions de la légitimité d’une révolution ; on pourrait dire que ce sont les conditions de son succès. En y regardant de près, on reconnaîtrait que, sauf des exceptions plus apparentes que réelles, les révolutions qui ont réussi, j’entends par là celles qui ont porté d’heureux fruits, ont été commencées à contre-cœur, sous l’empire d’une sorte de nécessité, après de longs efforts pour les éviter. La révolution qui a délivré les États-Unis d’Amérique, celle qui, par l’expulsion définitive des Stuarts, a fondé en Angleterre la véritable monarchie constitutionnelle, présentent l’une et l’autre ce caractère. Il en est de même, à un plus haut degré encore, de celle des Pays-Bas, et cela est facile à expliquer. Les révolutions, même les plus heureuses, les plus exemptes d’excès et d’exagérations, entraînent nécessairement à leur suite de si effroya