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bles calamités, elles portent de telles atteintes, non-seulement à la prospérité publique, mais au caractère moral des peuples, elles ébranlent tellement les bases de l’ordre social, que, pour braver gratuitement de pareilles chances, il faut être, ou bien insensé, ou bien pervers. Les nations qui de gaîté de cœur se donnent de semblables passe-temps font preuve d’une ignorance, d’une absence de sentiment moral qui ne permettent pas de leur supposer les qualités nécessaires pour fonder un nouvel édifice, et les hommes qui les poussent à ces témérités ne peuvent guère posséder les vertus politiques qui les mettraient en état de présider utilement à la réorganisation d’un pays. Ce n’est pas un paradoxe de dire que, si Washington a pu fonder la république des États-Unis, c’est parce qu’il avait été des derniers à se déclarer pour l’insurrection, pour la séparation de la mère-patrie, parce qu’il ne l’avait fait qu’après s’être convaincu de l’impossibilité absolue d’une transaction. Son esprit froid et judicieux avait mesuré d’avance les difficultés et les périls.de la grande entreprise à laquelle il finit par s’associer. Aussi ne fut-il ni surpris, ni découragé par les innombrables obstacles qu’il rencontra sur sa route. Alors que d’autres, plus ardens que lui dans le premier moment, parce qu’ils étaient moins clairvoyans, faiblissaient à l’aspect de ces obstacles qu’ils n’avaient pas prévus, que les populations semblaient se refroidir pour la grande cause objet naguère de leur enthousiasme, et que de fâcheux dissentimens menaçaient de paralyser les efforts du patriotisme, lui seul restait ferme et inébranlable. C’est qu’il appartenait à cette classe d’hommes supérieurs par le caractère qui ne se décident à l’action qu’en connaissance de cause, après avoir mûrement délibéré avec eux-mêmes, mais qui, une fois décidés, ne reculent plus et vont jusqu’au bout.

Tout ce que je viens de dire de la révolution d’Amérique s’applique à celle des Pays-Bas. Les provinces belges et néerlandaises, depuis longtemps réunies sous une même souveraineté, avaient manifesté à toutes les époques un grand attachement à leurs libertés, à leurs privilèges, à leurs institutions particulières ; elles s’étaient constamment montrées jalouses de les maintenir intacts, et cette jalousie n’avait pu que devenir plus inquiète et plus ombrageuse depuis que leurs souverains, maîtres de l’Espagne et de tant d’autres états où ils exerçaient le pouvoir absolu, pouvaient être tentés de se l’arroger dans les Pays-Bas à l’aide des ressources qu’ils puisaient dans leurs vastes possessions. Au moment toutefois où Philippe II monta sur le trône, il n’existait certainement dans ces provinces aucune intention, ni même aucun désir de se soustraire à son autorité. Charles-Quint, malgré la rigueur extrême avec laquelle il y avait réprimé toutes les tentatives de désordre, malgré