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attribuant je ne sais quelle noblesse de convention et quel sens pompeux qu’ils n’ont jamais eus. Toutes nos expressions noblement académiques eurent la plus humble extraction ; elles aussi furent vulgaires autrefois, à l’heure heureuse où elles sortirent toutes vivantes de la chaude émotion d’un poète. Donc, si les vieux mots vous conviennent, vous pouvez sans crainte les appliquer aux objets qui vous entourent, car ces objets sont identiques et de substance et de forme à ceux qu’ils furent jadis chargés de nommer.

Je te fais molosse, ô mon dogue !
L’acanthe manque ? j’ai le thym.
Je nomme Vaugirard églogue,
J’installe Amyntas à Pantin.

Le poète ne doit pas se laisser arrêter dans le choix de ses sujets par le reproche de vulgarité. Il n’y a pas de sujets vulgaires ou relevés ; il n’y a que des sujets rendus d’une manière vulgaire ou d’une manière poétique. Tous sont permis au poète, pourvu qu’il ne les calomnie pas devant l’imagination par une interprétation grossière ou lâche. Tous les objets lui appartiennent, et s’il lui plaît de choisir le plus infime de tous, il est libre de le faire, pourvu qu’il respecte et fasse resplendir la parcelle de l’âme universelle qui est dans cet objet, ou qu’à défaut de cette parcelle d’âme il lui donne un atome de la sienne. Peignez des choses basses, pourvu que vous les aimiez, car elles cessent d’être basses du moment où elles sont aimées, et il n’est d’objet si laid qui ne puisse devenir beau, transformé par la sensation du poète. On n’a donc pas le droit de lui reprocher le choix de ses sujets, mais seulement la manière dont il les a traités et rendus.

Fais ce que tu voudras, qu’importe,
Pourvu que le vrai soit content,
Pourvu que l’alouette sorte
Parfois de ta strophe en chantant ;
Pourvu que la luzerne pousse
Dans ton idylle, et que Vénus
Y trouve une épaisseur de mousse
Suffisante pour ses pieds nus ;
Pourvu qu’en ton poème tremble
L’azur réel des claires eaux,
Pourvu que le brin d’herbe y semble
Bon au nid des petits oiseaux ?


Il n’y a rien à objecter à cette poétique, qui est parfaitement d’accord avec les lois les plus certaines de l’imagination, si ce n’est qu’elle n’eût peut-être rien perdu à être exposée parfois en termes