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moins facétieux, et que la vérité en aurait mieux apparu, si elle eût été mêlée à moins de métaphores étranges.

Nous sommes arrivés à la peinture de la vie turbulente de l’adolescence et de la jeunesse, et nous rencontrons ici le plus grave reproche qu’on ait adressé aux nouvelles poésies de M. Hugo. — Vous chantez, lui a-t-on dit, des sentimens qu’il n’appartient qu’à la jeunesse seule de chanter, vous traitez des sujets qui sont nécessairement antipathiques à l’âme sévère que les années et l’expérience vous ont faite. Ici encore, M. Hugo a sa réponse toute prête. — Pardon, répond-il, j’ai le droit de traiter ces sujets, pourvu que je les traite avec l’âme de mon âge, et c’est ce que j’ai fait dans ce volume. Ah ! si j’essayais d’imiter artificiellement les sons d’une voix qui n’a pas encore mué, si je contrefaisais la leste allure et l’insouciante belle humeur du jeune homme, si je m’abandonnais à cette charmante et immorale confiance que la volupté inspire aux jeunes gens pour se rendre maître d’eux, si dans mon langage il perçait quelque chose de cette crédulité irréfléchie et gracieuse qui fait prendre aux jeunes gens les horizons du pays de Watteau pour les horizons du monde, — pour tout dire d’un seul mot, si j’avais essayé de traiter ces sujets avec l’âme du jeune homme, vous pourriez me blâmer ; mais n’ai-je pas loyalement signé mon âge au bas de ces petits tableaux ? Est-ce que le tour donné à ces récits ne vous révèle pas le sentiment que m’inspirent aujourd’hui ces gracieux enfantillages ? Tous ces souvenirs aujourd’hui fantômes, je les regarde passer, ne le voyez-vous pas ? avec la complaisance ironique qui convient à mon caractère et à mon expérience. Je badine avec mes souvenirs et je me fais jeune avec eux, exactement comme un père se fait enfant en badinant avec ses marmots. Pour qui sait lire, j’ai caché dans une épithète, dans une métaphore, l’état d’âme véritable avec lequel je considère aujourd’hui ces aimables accidens de la vie juvénile. Ces facéties, ces calembours que vous me reprochez sont l’apologie de ma franchise. Ah ! si j’avais voulu apporter dans ces choses légères l’âme de la jeunesse, comme je m’y semis pris autrement ! Quelle importance je leur aurais donnée ! avec quelle pompe je me serais exprimé ! Ce n’est jamais à l’âge heureux où l’on appelle une blanchisseuse lavandière que j’aurais osé parler de ces fameux torchons radieux dont depuis deux mois vous me rebattez les oreilles, et qui pourtant, vus avec l’œil de la candeur, sont la meilleure des réponses aux critiques que vous m’adressez. — Torchons radieux ! Eh ! bonnes gens, ces deux mots disent à la fois et l’âge que j’ai maintenant et l’âge que je n’ai plus. Le substantif est de l’âge présent, l’épithète est de l’âge passé. Eh ! oui, c’étaient des torchons, je le sais maintenant et je ne le savais pas alors, et ils étaient radieux,