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taient autant que lui les idées révolutionnaires, qu’ils étaient aussi intéressés que les émigrés eux-mêmes au rétablissement de la monarchie française, et qu’il ne pouvait souhaiter de plus dociles instrumens pour sa propre gloire.

Les petites cours de l’Allemagne ressemblaient alors, il est vrai, à des citadelles de l’ancien régime, qui s’y était cantonné avec tout l’appareil en miniature de l’absolutisme et du bon plaisir. On peut en juger, et apprécier ensuite quelles sympathies ou quels secours Gustave III et l’émigration devaient rencontrer de ce côté, en écoutant les curieux témoignages qu’a laissés un des membres précisément les plus marquans du parti des princes. Je rencontre ces témoignages dans les papiers, encore tout à fait inédits, de M. d’Escars, qu’une offre infiniment obligeante m’a permis de consulter[1]. M. d’Escars réclame dans notre récit une place importante, puisqu’il a été le plénipotentiaire des princes et de la contre-révolution auprès de Gustave III ; il a résidé en cette qualité à Stockholm, et y était encore lors de l’assassinat du roi de Suède. C’est une bonne fortune d’avoir ses propres récits, non-seulement sur ce qui concerne ses relations directes avec le cabinet suédois, mais, lorsqu’il voyage en tous sens à travers l’Allemagne pour les intérêts du parti contre-révolutionnaire, sur l’état politique et moral des pays où Gustave et les princes devaient trouver de naturelles alliances. Ajoutons que le narrateur lui-même nous apparaîtra comme un type intéressant d’une certaine sorte d’émigrés.

Né en 1747, d’abord gentilhomme et capitaine des gardes du comte d’Artois, puis colonel d’un régiment de dragons et premier maître d’hôtel du roi, marié en 1783 à la fille du riche fermier-général de Laborde, et compris la même année dans une promotion de maréchaux de camp, le baron d’Escars[2] paraît avoir fait partie de cette noblesse sincèrement dévouée, mais fort imprudente, dont Louis XVI se défiait, même avant la révolution. Le 4 août 1789, quelques jours seulement après l’émigration des princes, il part lui-même avec le caractère d’agent secret près des puissances étrangères, mais reste une année sans recevoir de la cour aucune communication directe. Cela ne l’empêche pas de faire bonne figure et de répandre les bons principes dans les cours qu’il visite sa mission l’amène ainsi, sur les bords du Rhin et du Haut-Danube, chez des souverains fort ennemis de la révolution française.

  1. C’est M. le marquis de Nadaillac que j’ai à remercier de cette intéressante communication. M. d’Escars avait épousé en secondes noces, en 1798, Mme de Nadaillac, née de La Ferrière, qui jouissait d’un grand crédit, par son esprit distingué, à la cour de Berlin.
  2. Plus tard comte après la mort d’un frère ainé, puis créé duc sous la restauration.