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crates que ce prince a autour de lui ne tiennent pas à Louis XVI, mais la royauté, de sorte que le roi et la reine, ces augustes malheureux, sont dans la triste position de ne savoir à qui rallier leurs efforts et leurs intérêts. Leurs amis naturels, ceux qui défendent la monarchie, veulent avec tant d’acharnement le retour de l’ancien régime, qu’il leur importe peu que ce soit le roi actuel ou M. le comte d’Artois ou M. le prince de Condé qui règne, pourvu que la noblesse soit rétablie dans son ancien pouvoir[1]. »


M. de Staël, en parlant ainsi, montrait avec une singulière précision jusqu’à quel excès l’entêtement du parti des princes pouvait les entraîner, et quelles graves raisons Louis XVI et Marie-Antoinette avaient de les craindre. Un autre serviteur de Gustave Ill, le brave et spirituel comte de Stedingk, lui signalait aussi, de Saint-Pétersbourg, les dangers qu’on rencontrerait à se confier au parti extrême de l’émigration; il le faisait avec une rare clairvoyance, et comme un homme qui connaissait à fond, pour l’avoir longtemps pratiquée, notre société française de l’ancien régime. « On s’occupe beaucoup ici, dans le monde diplomatique, de la part que le roi de Suède pourrait vouloir prendre aux affaires de France. J’emploie toute mon adresse à dérouter les curieux. Je crois la circonspection et la prudence d’autant plus nécessaires en cette occasion que le salut de la famille royale et aussi de la France en dépend indubitablement. Autant je désire une contre-révolution, autant une demi-contre-révolution me paraît funeste et contraire au but. Les princes pourraient bien n’agir que pour leur intérêt. On ne dira point ainsi à Aix-la-Chapelle je connais les personnes qui s’y trouvent; elles diront qu’il y a cinquante mille mécontens sur la frontière, et si on leur dit qu’il pourrait bien n’y en avoir que dix mille, elles crieront qu’on est démocrate! En général, j’ai connu que, pour bien gouverner les Français, il ne faut que les modérer. C’est mon attachement pour votre majesté et pour le pays dont elle embrasse la défense qui me dicte ces réflexions[2]. »


Stedingk avait raison et jugeait bien les choses; mais sa dépêche arrivait à Aix-la-Chapelle au moment de cette exaltation du lendemain de Varennes. Gustave était tout entier au dessein de soutenir un brillant renom et de justifier d’ardentes espérances, On va voir par quels plans politiques il crut préparer, de concert avec les alliés que nous lui connaissons désormais, l’anéantissement rêvé de la révolution française.

  1. Archives d’Upsal. Collection des papiers de Gustave III.
  2. Archives du ministère des affaires étrangères à Stockholm. Document communiqué par M. le comte de Manderstrôm.