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n’aurait plus pour nous ce charme des ensembles harmonieux et des proportions élégantes qui ravit nos regards. La lumière ne crée pas la forme, mais elle la révèle. Lumière et forme, ces deux mots expliquent la beauté du monde visible ils contiennent toute l’esthétique de la nature, j’oserais presque dire qu’ils résument le génie de Goethe. N’est-il pas un adorateur de la forme, celui que les Allemands appelèrent le grand païen ? Ce qu’on nomme son hellénisme, n’est-ce pas son amour passionné de la proportion, de la mesure dans la poésie, dans le théâtre surtout? Et qu’est-ce que cela, sinon le culte de la forme harmonieuse et lumineuse dans l’art? Tous ses travaux scientifiques ont eu pour direction exclusive l’étude de la forme et de la couleur. Ses essais d’histoire naturelle furent soit des études morphologiques comme la Métamorphose des plantes ou l’Introduction générale à l’anatomie comparée, soit des études d’optique comme la Théorie des Couleurs. Toute la destinée de ce beau génie, poétique et scientifique à la fois, semble se résumer dans ce dernier cri de Goethe mourant : De la lumière ! plus de lumière! La passion de sa vie entière s’exprimait dans ce cri suprême c’était son dernier regret l’ombre où il entrait fut sa seule souffrance.

Avec ce goût inné pour les belles manifestations de la nature, il ne faut pas s’étonner si Goethe tenta de s’en emparer au moyen des arts plastiques. Ce qu’il admirait comme poète, ce que plus tard, comme naturaliste ou physicien, il essaya d’expliquer, la forme colorée et particulièrement la forme dans les êtres organiques, la forme vivante, il voulut se l’approprier avec le crayon et le pinceau. Jusqu’à l’âge de quarante ans, il rêva la gloire du peintre et y aspira de toutes ses forces. On dirait que sa passion pour les beautés du monde sensible ne pouvait alors se satisfaire à moins d’une possession presque matérielle. Peindre ses sensations avec des mots qui, tout colorés qu’ils soient par l’âme de l’écrivain, n’en sont pas moins des signes, c’est-à-dire des abstractions, exprimer la nature par des symboles qui la détruisent d’abord pour la recomposer ensuite dans l’imagination de ceux auxquels ils s’adressent, tout cela ne lui suffisait pas. La réalité objective devenait subjective en traversant les formes logiques ou poétiques de sa pensée, en subissant la servitude des lois du langage et du rhythme. Il fallait qu’il l’atteignît plus directement en elle-même, qu’il la saisît au moins dans sa représentation réelle et concrète, qu’il s’assimilât du monde extérieur tout ce qu’il pouvait lui ravir, sinon la vie elle-même, la vie inimitable, du moins le mouvement, les attitudes, la couleur de la vie. « L’œil était, nous dit-il, l’organe principal avec lequel j’embrassais le monde. Où que se portât mon regard, je