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autre chose si je dis : « Le bœuf se défend avec ses cornes parce qu’il les a. — La question du but, la question pourquoi n’a absolument rien de scientifique. On va plus loin avec la question comment, car si je demande : Comment les cornes viennent-elles au bœuf ? ma question me conduit à examiner son organisation, et j’apprends alors pourquoi le lion n’a pas et ne peut pas avoir de cornes... Les professeurs d’utilité croiraient perdre leur Dieu, s’ils ne devaient pas adorer celui qui a donné au bœuf les cornes, afin qu’il s’en servît pour sa défense; mais on me permettra d’adorer celui dont la force créatrice était si grande qu’ayant fait des milliers de plantes, il en fit encore une qui les contenait toutes, et qu’ayant fait des milliers d’animaux, il en fit un qui les contenait tous: l’homme. — Que l’on vénère celui qui nous donne à manger et à boire autant qu’il est nécessaire; moi, j’adore celui qui a déposé dans l’univers une telle force productrice que, la millionième partie seulement de cette force arrivant à la vie, aussitôt un monde de créatures fourmille de telle sorte que ni la guerre, ni l’eau, ni le feu ne peuvent rien contre lui! Voilà mon Dieu[1] »

Ce n’est pas le moment de discuter cette éternelle cette grande question de la finalité dans la nature. Nous nous garderons bien de tirer un trop sévère parti contre Goethe de quelques contradictions dans lesquelles il est aisé de le surprendre, comme lorsqu’examinant, dans une série d’analyses comparées, le bras de l’homme et les membres antérieurs des animaux, il arrive à parler des mains et des avant-bras de l’écureuil. Voici un passage que signerait le plus déterminé partisan des causes finales « C’est le lieu de faire remarquer que les deux dents de devant des rongeurs sont attachées à l’os intermaxillaire. Il est bien curieux que, par une mystérieuse harmonie, le développement des dents de devant soit ici en rapport avec la souplesse de la main. Chez les autres animaux, les dents saisissent directement la nourriture; chez ceux-ci, elle est portée adroitement à la bouche par les mains; les dents n’ont donc plus qu’à ronger, et ce travail devient en quelque sorte technique. » Quelques pages plus haut, dans ce même mémoire où il examine les dessins du grand ouvrage de d’Alton sur l’ostéologie au point de vue de ce qu’il appelle lui-même la fonction des parties, je rencontre ces lignes curieuses « Nous voyons d’abord présenté sous divers aspects cet os que nous considérons comme le premier de la structure animale (l’os intermaxillaire); cet os est celui à l’aide duquel chaque créature prend la nourriture qui lui est le mieux appropriée; il doit donc différer comme diffère cette nour-

  1. Conversations avec Eckermann, t. II, p. 258.