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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/203

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qui ne peut rester caché, c’est que le sentiment général de la délégation, comme du pays, est favorable à la fédération. Ce mot a tant de pouvoir et pour ainsi dire de magie, que les oppositions les plus violentes de l’intérêt local s’effacent devant la seule idée d’un gouvernement général et indépendant de toutes les provinces anglaises de l’Amérique. Les Anglo-Américains ont une ambition, celle de tenir tête aux États-Unis et de balancer leur influence. Ce projet d’union nationale flatte leur orgueil, blessé par les pitiés dédaigneuses de leurs redoutables voisins. Ils comptent avec satisfaction le nombre déjà imposant des citoyens de la république nouvelle quatre millions dès à présent, qui, selon la proportion d’accroissement observée depuis cinquante ans, seront huit millions au moins dans une vingtaine d’années. Ils mesurent aussi (ceci est plus futile) l’étendue du territoire que doivent embrasser leurs frontières, et, mettant ensemble les déserts glacés du nord, les forêts inhabitées du Labrador et les solitudes presque encore impénétrables de l’ouest, ils forment avec orgueil un total supérieur à la superficie de l’Union américaine.

Les Américains, de leur côté, voient avec une indulgence hautaine les efforts de leurs voisins pour se constituer en grande nation. Ils affichent la certitude que l’union des provinces britanniques est un premier pas vers leur absorption dans le grand corps fédéral. Cette prétention des Yankees n’est pas la moindre cause de l’ensemble avec lequel on travaille ici à aplanir les difficultés et à concilier les rivalités locales. Les Acadiens (tel sera probablement le nom du nouveau peuple) veulent prouver aux Américains qu’ils peuvent se soutenir et prospérer seuls. Ils disent qu’ils armeront le pouvoir central d’une autre force que la constitution des États-Unis, et que, venus plus tard, ils sauront profiter de l’expérience du voisin pour fonder quelque chose de plus sensé et de plus durable. Ce n’est pas que la nation nouvelle soit unanime. La vieille discorde séculaire du Haut et du Bas-Canada, bien que noyée dans ce grand projet d’union, comme un combat singulier dans la mêlée d’une bataille, a laissé des traces qui ne s’effaceront pas de sitôt, et, comme toujours, la menace des mécontens est qu’ils vont passer à l’ennemi, c’est-à-dire aux États-Unis. Autrefois le foyer de la révolte était au sein du pays français. Après la dernière insurrection, la politique sage et impartiale de l’Angleterre pacifia tout en accordant aux deux provinces des constitutions séparées et libres avec une représentation égale dans le gouvernement; mais depuis plusieurs années, tandis que la partie française du Canada s’est réconciliée avec la domination étrangère, le Haut-Canada commence à son tour à murmurer.

Il y a vingt ans, la population du Haut-Canada était encore in-