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férieure à celle du Bas-Canada: aujourd’hui elle lui est tellement supérieure qu’elle ne veut plus se contenter de l’égalité. Sa richesse a grandi à proportion, et les impôts se sont élevés avec la richesse. Il se plaint donc, non sans justice, de ne contribuer que pour une moitié au gouvernement, quand il contribue pour les deux tiers aux dépenses. De là ces troubles nouveaux, cette guerre civile au sein de la législature, ces menaces de révolte (au fond peu sincères), auxquelles l’Angleterre, toujours habile et modérée, a mis fin par le grand projet d’union nationale qui se discute aujourd’hui.

L’effet en fut immédiat les francophobes du Haut-Canada, qui, disaient-ils, « ne s’en trouveraient pas plus pauvres d’un dollar, » s’ils ne voyaient plus jamais un Français dans leur pays, qui se plaisaient à montrer sur la carte combien était artificielle la frontière des lacs et ne parlaient de rien moins que de transporter derrière l’Ontario la frontière des États-Unis, abandonnèrent des projets hasardeux dont, à vrai dire, depuis la guerre civile et la maladie financière de leurs voisins, ils ne faisaient plus qu’une vaine menace. Ils avaient incontestablement raison quand ils disaient que tout les pousse dans le mouvement commercial de la république américaine leur situation, le voisinage des États-Unis, ces lacs mêmes, qui, loin de les séparer, rendent entre eux les communications si faciles, et nul doute qu’ils n’y fussent entraînés, si les questions de nationalité se décidaient uniquement par la position géographique des peuples. Leurs produits, au lieu de suivre la route longue et difficile du Saint-Laurent, encombrée la moitié de l’année par les glaces, s’écoulent par les chemins de fer et les canaux, qui les concentrent sur le marché de New-York. Cependant la formation des peuples obéit à d’autres lois que ces causes '‘a priori'‘, auxquelles résistent souvent les habitudes et les traditions. Par cela seul qu’une population a gravité durant un ou deux siècles autour d’un certain centre politique, elle a contracté avec ses nationaux mille liens, mille affinités, qui, pour rester cachés, n’en seraient pas moins difficiles à rompre.

Ce n’est pas d’ailleurs sans regret que les Français du Bas-Canada voient disparaître leur nationalité; aujourd’hui encore le Bas-Canada, tout anglicisé qu’il est par une longue habitude, demeure une province essentiellement française, parce que l’immigration n’en a que très peu modifié les premiers élémens. Il tient à ses vieilles mœurs, à ses vieilles institutions politiques et religieuses, à ses vestiges de féodalité, au catholicisme conservé comme religion d’état. Rien de tout cela ne sera ébranlé par la constitution fédérale; mais le mélange progressif de toutes les petites nationalités dont se composera l’'‘union'‘ étouffera dans un temps plus ou moins long le noyau de la nationalité française. Enfin le Bas--