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et de la rendre assez forte pour résister à la lente action de la domination étrangère. Le clergé canadien joint donc à son rôle civilisateur un rôle politique; il s’associe aux souvenirs français et s’en fait le représentant fidèle, tout en donnant des exemples de tolérance qui étonneraient les plus libéraux de nos prêtres. On ne se dispute pas ici les âmes avec l’acharnement de brigands sur une même proie on les laisse venir, et chacun fait sa moisson en respectant le champ du voisin. Le clergé catholique est le premier dans cette joute de libéralisme qui scandaliserait nos fougueux convertisseurs. Je n’en veux pour preuve que cette fondation de l’université Laval, élevée aux frais des catholiques, où l’enseignement est donné sans distinction aux jeunes gens des deux religions aussi bien par des professeurs protestans que par des catholiques. L’établissement a coûté plus de deux millions et absorbe tous les ans un gros revenu. On y enseigne le droit, la médecine, les lettres, les sciences, la théologie, et l’on y délivre des diplômes pour toutes les facultés. La plupart des professeurs ont étudié à Paris; on les envoie tout exprès prendre leurs degrés en Europe. Les études de droit durent trois ans, celles de médecine en durent quatre; les examens sont fréquens et sévères, et j’entendais le recteur, M. l’abbé Taschereau, qui avait la bonté de m’accompagner lui-même dans ma visite, se plaindre du grand tort que font à l’université Laval ces écoles à l’américaine, vraies fabriques de diplômes, où études et examens sont expédiés en quelques mois. Dans ce mouvement rapide de la civilisation américaine, où le succès appartient moins à la science approfondie qu’à la pratique audacieuse, on est moins préoccupé de faire bien que de faire vite, et l’université catholique de Québec est délaissée trop souvent pour l’université protestante de Montréal.

Il en est de même de ce qu’il est convenu d’appeler encore les vestiges de la féodalité au Canada. Quand les Américains parlent des institutions canadiennes, c’est pour crier à. l’abomination et à la tyrannie. On croirait, à les entendre que leurs infortunés voisins du Bas-Canada en sont encore aux seigneuries, aux droits du seigneur, à toutes les barbaries du moyen âge. Il est vrai que le nom s’est maintenu, mais la chose est abolie depuis des années. Il y avait autrefois (et c’était le mode ordinaire de la propriété) des terres concédées moyennant une redevance perpétuelle, qu’on pouvait dire véritablement inféodées. Le seigneur, outre la rente perpétuelle servie par le vassal, percevait à chaque vente un droit de mutation de 12 pour 100. La législature du Canada, après de longues hésitations et de longues disputes, a complétement aboli pour le présent et interdit pour l’avenir cette espèce de tenure féodale. On a indemnisé tant bien que mal les anciens seigneurs,