Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les ouvrages de Cappel, qui roulent pour la plupart sur des problèmes bien limités et susceptibles d’une solution précise, gardent aujourd’hui toute leur valeur. Si l’on n’en peut dire autant de ceux de Bochart, c’est que les questions qu’il attaqua étaient d’un ordre bien plus délicat, et supposaient des principes généraux de critique et de philologie qui n’étaient pas encore découverts. Plusieurs mauvaises étymologies et quelques naïvetés ne doivent pas faire oublier que Bochart posait vers 1650 les bases de la science comparative des antiquités sémitiques. Le temps était aux grands travaux; un éveil extraordinaire régnait dans les esprits. La rivalité féconde des catholiques et des protestans entretenait un merveilleux zèle pour les études savantes. La fondation définitive de l’exégèse biblique fut le fruit de cette émulation. L’un des deux partis n’aurait pu la produire à lui seul. Les catholiques se seraient endormis sous le poids de l’autorité traditionnelle; les protestans se seraient oubliés dans l’adoration superstitieuse de la lettre. Mis en présence les uns des autres, au sein d’une société sérieuse et que le despotisme de Versailles n’avait pas encore gâtée, ils produisirent les plus beaux fruits. On vit, à cet âge brillant de l’esprit français, ce que peut la liberté quand l’état est à la fois large et fort, quand il s’impose pour unique tâche de maintenir les divers élémens de la société en possession de leurs droits, quand il se contente de présider aux débats intellectuels avec une impassible sérénité.

Si, dans un sens général, l’exégèse biblique fut l’œuvre commune des catholiques et des protestans, on ne saurait nier cependant que l’homme qui donna à cette science son cadre et sa forme arrêtée n’ait été un catholique. Ce fut le Dieppois Richard Simon, prêtre de l’Oratoire. L’Histoire critique du Vieux Testament, publiée pour la première fois en 1678, est un traité complet d’exégèse en avance de près de cent cinquante ans sur les autres ouvrages du même genre. Une nouvelle édition de ce livre, annotée et complétée sur certains points, serait encore un livre précieux, pouvant être consulté avec fruit sur toutes les questions difficiles relatives aux écrits hébreux.

La méthode de Richard Simon est la vraie; c’est celle de la raison pénétrante, aidée par un immense savoir. On a pu appliquer cette méthode avec plus de suite et de rigueur; on ne la changera pas tant que le bon sens présidera à ces études. La profonde connaissance des langues orientales que possédait le père Simon lui donnait d’immenses avantages sur tous ses émules. Son analyse du Pentateuque est un chef-d’œuvre. Le principe fondamental de la critique des textes sacrés anonymes, principe applicable à presque toutes les littératures de l’Orient, est chez lui parfaitement déve-