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loppé. L’idée de la retouche des textes, des incorporations successives, est substituée aux vieilles discussions d’authenticité. le texte n’est plus dans cette manière de voir quelque chose de fixe, qu’il faut tenir pour authentique ou apocryphe, admettre ou rejeter en bloc. C’est un corps organique. qui s’accroît selon certaines lois, et de temps en temps se métamorphose, sans cesser d’être lui-même. Si quelques-unes des explications de Simon paraissent pénibles et contournées, il faut songer aux difficultés de sa situation. Le moment où il commença de publier était celui où le gouvernement de Louis XIV devint décidément une tyrannie mesquine et tracassière, s’occupant de tout, intervenant dans toutes les discussions, érigeant tout en affaire d’état. Malgré sa réserve, le savant auteur n’évita pas la persécution. Ce qu’il y a de singulier, c’est que la gêne le porte parfois à une critique en quelque sorte trop radicale. L’importance exagérée qu’il attribue à Esdras et à la « grande synagogue, » le privilège bizarre qu’il confère aux prophètes « d’ajouter ou de diminuer aux livres sacrés, » sont des singularités qui lui étaient imposées par les exigences théologiques du temps. Nous autres, libres penseurs, il nous est permis d’être moins embarrassés. En ces matières, plus on est libre, plus on est respectueux; mais les quelques taches qu’on peut signaler dans l’ouvrage de Simon ne doivent rien enlever à l’admiration qu’il mérite. On citerait difficilement un livre qui ait aussi immensément dépassé son siècle que l’Histoire critique du Vieux Testament. Certes Richard Simon n’était pas le seul qui, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, appliquât la critique aux écrits hébreux. Spinoza en particulier, dans le Traité théologico-politique, arrivait sur le Pentateuque aux résultats les plus importans; mais Simon lui est bien supérieur sous le rapport de la méthode et de fait la science exégétique, telle que l’Allemagne l’a créée, ressemble beaucoup plus au livre de Simon qu’à celui de Spinoza. Le Traité théologico-politique est de 1670, antérieur de huit années par conséquent à l’Histoire critique. Je ne sais si Richard Simon avait lu l’ouvrage de Spinoza; en tout cas, il n’en relève pas. Spinoza fut le Bacon de l’exégèse, il entrevit une méthode qu’il ne pratiqua pas avec suite; Simon en fut le Galilée, il mit résolument la main à l’œuvre, et avec un surprenant génie éleva d’un seul coup l’édifice de la science sur des bases qui n’ont pas été ébranlées.

On sait la triste destinée de ce livre extraordinaire; il succomba pour un temps sous la conjuration de toutes les routines ameutées contre lui. Le volume allait paraître quand Arnauld fit parvenir à Bossuet un exemplaire de la préface et de la table des matières. C’était le jeudi saint de l’an 1678. Bossuet, en quelques minutes, vit, avec son habileté ordinaire, que c’était ici un dangereux ennemi. La