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Mlle de Mackau épousa le marquis de Bombelles[1], Mme Élisabeth, lui ayant obtenu du roi une dot et une pension, la garda également auprès d’elle et la fit nommer dame pour accompagner. « Voici donc mes vœux remplis, lui disait-elle. Qu’il est doux de penser que c’est un lien de plus entre nous, et d’espérer que rien ne pourra le rompre ! » Quoi de plus touchant que cette lettre écrite en 1786 par la princesse à Mme de Bombelles « Je possède au monde deux amies, et elles sont toutes deux loin de moi! Cela est trop pénible; il faut absolument que l’une de vous revienne. Si vous ne revenez pas, j’irai à Saint-Cyr sans vous, et je me vengerai encore en mariant notre protégée sans vous. Mon cœur est plein du bonheur de cette pauvre enfant qui pleure de joie, et vous n’êtes pas là! J’ai visité deux autres pauvres familles sans vous! J’ai prié Dieu sans vous; mais j’ai prié pour vous, car j’ai besoin de sa grâce, et j’ai besoin qu’il vous touche, vous qui m’abandonnez ! » Où trouver une plus tendre sollicitude que dans cette autre lettre de 1787 : « tiens bien la parole que tu me donnes de te ménager?. Pense beaucoup à tes amies, cela te donnera le courage de t’occuper de toi. L’amitié, vois-tu, ma chère Bombelles, est une seconde vie qui nous soutient en ce monde. » Quand l’heure des dangers arriva, Mme Élisabeth fut privée de ses deux compagnes d’enfance, qui partirent pour l’émigration. La princesse, restée seule, se consolait de leur absence en leur écrivant, et dans les temps d’orage comme aux jours de splendeur c’est toujours vers l’amitié que se tournaient les pensées de son âme.

Nous qui savons d’avance le dénoûment du drame, nous ne voyons dans les péripéties que ténèbres et sang. L’idée de la catastrophe finale nous poursuit, nous obsède. L’échafaud ne cesse pas un instant d’être sous nos yeux. Heureusement la réalité ne fut pas toujours aussi horrible. On venait de prier Dieu avec tant de ferveur qu’on se flattait d’avoir apaisé sa colère. Tant de personnes pieuses élevaient leurs mains au ciel! « Il ne pourra résister, » disait Mme Élisabeth. Le souvenir de Charles Ier se dressait, il est vrai, dans l’ombre; mais on pensait que de pareils crimes ne se renouvellent pas, et que rarement dans l’histoire des situations analogues ont des conclusions identiques. Il y avait donc des heures de calme, d’apaisement. Soutenue par sa jeunesse et par son innocence, Mme Élisabeth renaissait alors à la vie. Les ombrages de Saint-Cloud lui faisaient oublier les spectacles horribles dont elle avait été témoin. Il est intéressant d’étudier ces alternatives pathétiques de consolations et de tristesses, d’espoir et de découragement. Au lendemain des journées d’octobre, la princesse écrivait des Tuileries à Mme de Bombelles « Tout est tranquille ici. La cour est établie presque comme autrefois. On voit du monde tous les jours. Tout cela, mon cœur, ne me déplaît point; vous savez que je suis aisée à m’ac-

  1. M. de Bombelles, alors diplomate, puis maréchal de camp dans l’armée de Condé, perdit sa femme en 1800. Il se fit prêtre et devint évêque d’Amiens en 1819. Son troisième fils fut le dernier mari de l’impératrice Marie-Louise.