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commoder de tout. » Et le 29 janvier 1790: « Je te dirai en abrégé que je ne suis point malheureuse. Il est des momens où je sens plus vivement que d’autres ma position; mais au total Dieu me fait la grâce de la supporter fort bien. » Mme Élisabeth est-elle tentée de se plaindre des gens qui l’espionnent et qui la tiennent comme « dans une cage, » aussitôt la pensée de Dieu l’empêche de murmurer. « S’il veut se venger de nous, dit-elle, nous aurons beau faire, il sera toujours le maître. » Aussi, dans les plus cruelles épreuves, n’abandonne-t-elle pas sa quiétude accoutumée.

C’est qu’au milieu de toutes les agitations d’une époque fébrile et sanglante elle garde le plus grand des biens, la paix du cœur. Conscience sans reproche, elle n’a peur ni de la souffrance ni de la mort. Plus l’heure des catastrophes approche, plus son courage grandit, De la manière la plus simple et la plus naturelle du monde, elle pense et dit des choses sublimes. « Je n’ai point de goût pour le martyre, écrivait-elle à Mme de Raigecourt en 1791, mais je sens que si j’y suis destinée, Dieu m’en donnera la force. Il est si bon, si bon! » Bénissant la douleur et recevant l’adversité comme un bienfait, elle se réjouit sincèrement « de faire sur terre son purgatoire. » Convaincue que les calamités qui accablent la France sont un juste châtiment du ciel, elle s’humilie profondément sous la main qui la frappe. Sa nature, d’ordinaire assez prosaïque, s’élève jusqu’à la poésie du mysticisme quand elle écrit à Mme de Bombelles « Pensons que le cœur de Dieu souffre plus encore que sa colère n’est irritée. Il dépend de nous de le consoler. Ah! que cette idée doit animer la ferveur des âmes assez heureuses pour avoir de la foi! Fais prier tes petits enfans. Dieu nous dit que leur prière lui est agréable. » N’y a-t-il pas dans ce langage des accens dignes d’une sainte Thérèse? C’est la loi de l’Évangile, ce sont les doctrines de l’Imitation de Jésus-Christ pratiquées sur les degrés du trône.

Chose bien digne de remarque, cette princesse si pieuse et si bonne n’était jamais contente d’elle-même. « Je ne sais pas, disait-elle, comment le bon Dieu fera pour me sauver, car je ne m’y prête guère. » Elle ne se trouvait jamais assez de résignation et de ferveur. Ses lettres ressemblent souvent à des examens de conscience. Elle y exprimait des idées toutes mystiques, et cela dans un style familier, trivial même. « Je suis dans mes veines de maussaderie vis-à-vis de Dieu, écrivait-elle à Mme de Raigecourt. J’aurais dû me piquer de dévotion aujourd’hui pour au moins réparer un peu tout ce qu’on fait contre Dieu. Au lieu de cela, j’ai été pis qu’une bûche. Je suis plus sèche, plus bête que ceux qui n’ont jamais connu la douceur du joug qui m’est imposé. » S’accusant « de ne savoir profiter ni des biens ni des maux de ce monde, » de vivre dans l’agitation, de n’être pas « maîtresse de sa tête, » de ne pas trouver encore ce calme dont elle faisait tant de cas et qu’elle sentait, disait-elle, si rarement, elle avait ces incessans scrupules, ces inquiétudes secrètes qui sont l’exagération de la vertu. C’est à sa conscience timorée que se serait appliquée cette phrase d’une de ses lettres à Mme de Raigecourt « oui, ton âme est trop délicate;