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pénètre et vivifie l’infinie variété des phénomènes. » Il voyait partout sourdre la vie dans la matière soit qu’il la considérât en physicien ou en chimiste, la vie à son premier degré lui apparaissait sous la forme de l’attraction et de la répulsion innées à la molécule ; soit qu’il la considérât en naturaliste, il trouvait là surtout la vie, dans cette force de métamorphose qui transforme dans l’individu un organe en tous les autres organes identiques à leur origine, distincts dans l’achèvement du corps organisé. Par ces deux voies, il arrivait à ce principe de la matière essentiellement vivante, qu’il appelait l’hylozoïsme ὕλη, ζωή (hulê, zôê), et qui devint l’article fondamental de son credo philosophique. « Prenez une pierre, un échantillon de granit vous y trouverez inscrite la loi la plus ancienne de la nature. Considérez bien cet échantillon vous y voyez un élément qui en cherche un autre, le pénètre, et par cette combinaison en crée un troisième. C’est là au fond le résumé de toutes les opération de la nature. Oui, là est écrit un document de l’histoire primitive du monde. Ceci est de l’argile, disent nos naturalistes, cela est du silice ! Ceci est ceci, et cela est cela ! Quand je sais tous ces noms, qu’est-ce que j’ai gagné ? Ce que je veux connaître, c’est ce qui dans l’univers anime chaque élément, de telle sorte qu’il cherche les autres, se soumet à eux ou les domine, suivant que la loi qu’il a en lui le destine à un rôle plus ou moins élevé[1]. »

Les affinités chimiques, les forces d’attraction et de répulsion, la polarité primitive de tous les êtres, autant de noms différens donnés par la science à cette impulsion initiale de la vie déposée dans chaque molécule de la matière, et qui est le ressort de son activité inépuisable, le principe de toutes ses métamorphoses. Cependant chaque partie de la substance universelle, dépositaire d’un fragment de la force universelle, n’est pas destinée au même rôle que toute autre partie ; les élémens se cherchent les uns les autres pour se soumettre ou dominer. De même, dans l’ordre le plus élevé des phénomènes cosmiques, chaque fragment de la vie universelle que nous appelons une âme est destiné dans l’organisme des mondes à un rôle plus ou moins élevé. Ainsi se crée l’ordre par la hiérarchie des phénomènes et des êtres. Goethe empruntait à Leibnitz son langage pour traduire ici sa pensée. « Les derniers élémens primitifs de tous les êtres, et pour ainsi dire les points initiaux de tout ce qui apparaît dans la nature, se partagent en différentes classes. On peut les appeler des âmes, puisqu’elles animent tout, mais appelons-les plutôt monades ; gardons cette vieille expression leibnitzienne pour mieux exprimer la simplicité de l’essence la plus simple. — Il y en a de si petites, de si faibles, qu’elles ne sont propres

  1. Conversations de Goethe, t. Ier, p. 429.