Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à une existence et à un service subordonnés ; d’autres au contraire sont très puissantes et très énergiques. Celles-ci attirent de force dans leur cercle tous les élémens inférieurs qui les approchent, et les font devenir ainsi partie intégrante de ce qu’elles doivent animer, soit d’un corps humain, soit d’une plante, soit d’un animal, soit d’une organisation plus haute, par exemple d’une étoile. Elles exercent cette puissance attractive jusqu’au jour où apparaît formé tout entier le monde, petit ou grand, dont elles portaient au fond d’elles-mêmes la pensée. Il n’y a que ces monades attractives qui méritent vraiment le nom d’âmes. Il y a donc des monades de mondes, des âmes de mondes, comme des monades, des âmes de fourmis. Ces âmes si différentes sont, dans leur origine première, des essences, sinon identiques, du moins parentes par leur nature. Chaque soleil, chaque planète porte en soi-même une haute idée, une haute destinée, qui rend son développement aussi régulier et soumis à la même loi que le développement d’un rosier, qui doit être tour à tour feuille, tige et corolle. Vous pouvez nommer cette puissance une idée, une monade, comme vous voudrez, pourvu que vous compreniez bien que cette idée, cette intention intérieure est invisible, et antérieure au développement qui apparaît dans la nature et qui émane d’elle[1]. »

La vie est donc partout dans la matière, répandue à flots comme d’une source intarissable, et la remplissant d’une activité incessante, réglée par certaines intentions qui deviennent des êtres, chaque être n’étant qu’une intention, une idée réalisée. Où résident ces intentions avant d’agir plastiquement dans la matière ? De quel ciel intelligible tombent ces idées ? On ne le dit pas, et tout cela est bien étrange dans une philosophie qui n’admet aucun principe antérieur ou supérieur à la nature. Il ne faut pas trop presser dans le détail ces différentes conceptions de Goethe sous peine d’en voir sortir, sinon des contradictions, du moins des conséquences fort difficiles à concilier entre elles. Qu’il nous suffise de saisir dans son ensemble cette philosophie de la nature très brillante, très spécieuse quand elle jaillit en aperçus étincelans de la pensée fortement émue du poète, mais assurément peu solide dans son enchaînement et sa structure. Comment concilier cette théorie leibnitzienne des monades, qui semblent fonder l’individualité des êtres, avec l’unité absolue dont Goethe poursuit obstinément la tyrannique chimère ? Comment comprendre ces points initiaux, ces forces immatérielles, âmes ou monades, antérieures au développement des phénomènes, ces élémens spiritualisés qui semblent composer une matière idéale dans une doctrine si profondément empirique, attachée par tant

  1. Conversations de Goethe, trad. citée, p. 341.