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d’autres principes et de si ardentes convictions, à la réalité concrète, palpable, visible ? La matière idéale se conçoit dans la théorie de Leibnitz ; elle en est la plus haute conception. Le monde des monades est un monde spiritualisé, puisque les monades sont des atomes métaphysiques, selon l’expression si forte de Leibnitz. Il ne peut en être ainsi dans la philosophie de Goethe, qui professe une si grande horreur pour les êtres métaphysiques. Faudra-t-il admettre que les monades soient présentes, intimes à la matière, sans être la matière elle-même ? Mais alors en soi que peut-elle être ? Elle est donc non pas vivante par elle-même, mais seulement par ce principe de vie qui lui vient du dehors ? La difficulté revient toujours. Ou la matière s’explique par la monade, qui en sera l’élément même, et dès lors la matière se subtilise, elle se dissipe et s’évanouit dans une substance purement idéale ; ou elle reçoit la monade du dehors et lui obéit, mais alors elle n’a pas la vie en soi, elle est inerte, elle est morte, ce que Goethe ne pouvait souffrir.


III.

N’insistons pas sur ces critiques trop faciles. Ce que Goethe voulait rendre sensible à tous en empruntant à Leibnitz cette théorie des monades, c’est l’idée du dynamisme universel, qui est l’âme de sa philosophie naturelle ; ce qu’il voulait montrer énergiquement, c’est son éloignement pour les théories atomistiques et mécaniques. Là se manifeste clairement l’opposition éternelle entre deux explications de la nature aussi anciennes que la philosophie, puisqu’elles séparaient déjà les philosophes ioniens, — Héraclite, qui voyait partout la force sous le symbole du feu dans l’univers, — Démocrite, qui faisait naître le monde d’une combinaison d’élémens inertes. Le mécanisme explique tout par des combinaisons et des groupemens d’atomes primitifs, éternels. Toutes les variétés des phénomènes, la naissance, la vie, la mort, ne sont que le résultat mécanique de compositions et de décompositions, la manifestation de systèmes d’atomes qui se réunissent ou se séparent. Le dynamisme au contraire ramène tous les phénomènes et tous les êtres à l’idée de force. Le monde est l’expression soit de forces opposées et harmonisées entre elles, soit d’une force unique dont la métamorphose perpétuelle fait l’universalité des êtres. On comprend du reste, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, que l’une ou l’autre de ces explications puisse être dans une certaine relation avec les deux philosophies opposées du matérialisme et du panthéisme. Et bien que l’explication seconde des choses soit jusqu’à un certain point indépendante de l’explication première ou métaphysique, l’histoire atteste ce fait