Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contemplation des existences belles, nobles, héroïques. Un jour qu’on demandait à Goethe, à l’occasion d’une lecture de l’Antigone de Sophocle, d’où est venue dans le monde la moralité « De Dieu même, comme tout autre bien, dit Goethe ; ce n’est pas un produit de la réflexion humaine, c’est une belle essence qui est créée avec nous, innée en nous. Elle existe plus ou moins dans l’homme en général ; elle existe à un haut degré dans quelques-uns, elle est un don spécial de certaines âmes. Celles-là ont révélé par des actions ou par des doctrines ce qu’elles renfermaient de divin dans leurs profondeurs leur apparition a par sa beauté saisi les hommes, qui ont été puissamment entraînés à les honorer et à rivaliser avec elles[1]. » » La plus haute leçon de morale est donc le spectacle de la vie d’un homme de bien qui nous inspire le désir de l’imiter ; mais Goethe, avec son goût pour l’expérience, reconnaissait qu’il y avait une autre manière d’arriver à connaître ce que vaut la beauté morale, le bien. L’observation de la vie amène irrésistiblement à cette conclusion, que l’abandon de l’homme à ses instincts inférieurs, l’égoïsme, le vice, a pour conséquence la destruction du bonheur général et du bonheur particulier, qui en fait partie. Au contraire ce qui est noble et juste ne peut manquer d’accroître le bonheur de tous comme celui de chaque individu. La beauté morale peut devenir ainsi une doctrine et se répandre sous la forme de la parole sur les multitudes.

Pour les natures supérieures, tous ces intermédiaires sont inutiles, car il se produit en elles une révélation permanente du beau moral à laquelle elles peuvent s’abandonner en toute sécurité. Elles-mêmes, par leur propre force, apprennent à s’affranchir. de toutes les servitudes, de tous les jougs de la superstition ou de l’opinion. « Portez votre regard au dedans de vous-mêmes dans les profondeurs de votre être, vous trouverez un guide auquel tout noble esprit se confie sans réserve. Aucune règle ne peut là vous manquer, car la conscience libre est le soleil de votre jour moral[2]. » La véritable règle est celle que toute âme noble puise en soi. — Dans la même veine d’idées, je rencontre un aperçu singulièrement délicat, c’est cette maxime que je voudrais voir inscrite en lettres d’or à côté des plus belles inspirations morales de Kant : « Le devoir consiste à aimer ce que l’on se commande à soi-même[3]. » Cela me semble être un amendement très heureux à la doctrine trop dure de l’impératif catégorique. La perfection morale pour l’austère penseur de Kœnigsberg est d’accomplir, coûte que coûte,

  1. Conversations de Goethe, t. Ier p. 330.
  2. Poésies, — Dieu et le Monde, — Testament.
  3. Pensées en prose, Maximes et Réflexions, septième partie.