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mens. Il n’y a en effet que les événemens considérables de l’histoire du monde qui soient dignes d’entrer dans une seconde mémoire. Tout le reste doit périr. Il y a là, selon Goethe, une belle explication de ces subites clartés du génie sur les grandes lois qui ont présidé à la naissance de l’univers. Une forte tension de l’esprit n’aurait pas suffi il a fallu un souvenir qui, comme un éclair, illumine nos ténèbres, souvenir de la création à laquelle notre âme peut-être assistait. Ainsi la monade d’un monde peut, du sein obscur de ses souvenirs, faire sortir des idées qui auront les apparences d’idées prophétiques et qui cependant ne seront peut-être que les souvenirs confus d’une vie antérieure écoulée lueurs subites et passagères qui sortent du fond des mondes et de la nuit des siècles et viennent un instant briller dans la mémoire des hautes intelligences.

Nous nous garderons bien de discuter cette brillante rêverie. Encore moins nous garderons-nous de chercher par quel effort d’esprit Goethe a pu faire entrer cette doctrine d’immortalité dans sa métaphysique de l’unité absolue. Spinoza, lui aussi, a promis l’immortalité aux âmes qui se sont nourries d’éternité sur la terre. Goethe a pu, comme son maître, espérer qu’un phénomène divin tel que l’âme, s’il s’est pénétré de la vérité, mérite d’en partager jusqu’à un certain point l’indestructible essence. Toutes ces grandes âmes de héros et de penseurs, pour lesquelles il rêve de si splendides destinées, ne sont pas moins pour lui dès cette terre que des forces détachées de la force suprême et comme des fragmens d’éternité.


V.

En résumant nos impressions sur cette philosophie à laquelle ne manque assurément ni l’éclat poétique ni l’ampleur des conceptions, nous arrivons à cette question inévitable que doit-on penser du prétendu panthéisme de Goethe ? Goethe est-il réellement panthéiste ?

C’est une de ces qualifications qu’on est bien obligé parfois d’employer dans la critique philosophique pour marquer les nuances des doctrines ou les tendances des esprits, mais qu’il est odieux d’appliquer à un homme comme une vague injure, ridicule de jeter au hasard, quand on est impuissant à donner ses raisons. Il paraît que, du temps même de Goethe, c’était la ressource banale de certains adversaires aux abois. Il faut voir de quel ton méprisant Goethe relève cette platitude. À propos de je ne sais quelle attaque venue de Berlin, il écrivait à Zelter le 21 octobre 1831 « J’ai tou-