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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/356

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irlandaise Canning n’avait certainement pas de rival dans la chambre des communes lorsqu’il reprit le ministère, et quoiqu’une certaine mobilité d’impression et d’ambition eût attiré sur son caractère les défiances de quelques censeurs sévères, il était porté au pouvoir par l’opinion. Il avait été l’élève et l’instrument de la politique de Pitt, il avait, dans l’Anti-Jacobin, poursuivi la révolution française de poésies épigrammatiques qui valent à peu près les bons mots de Rivarol mis en vers, il s’était élevé avec constance contre toute idée de réforme parlementaire mais enfin le torisme éclairé d’un Pitt n’était pas celui d’un Perceval ou d’un Eldon. Canning avait été le fidèle défenseur des droits des catholiques. Sa culture d’esprit, ses goûts littéraires, cette imagination qu’on avait l’indulgence de confondre avec celle d’un poète, le rendaient accessible aux vérités et aux choses nouvelles; enfin, étranger aux affaires dans le moment des triomphes de la coalition, il n’avait pas de sa personne trempé dans les restaurations absolutistes, dans le partage inique ou imprudent des territoires et des peuples en 1815 il n’avait pas déteint les couleurs du drapeau britannique au contact des bannières du despotisme européen; libre d’une complicité directe dans l’œuvre de l’imprévoyance, de la haine, de l’avidité et de la peur, il pouvait rendre à sa patrie une politique nationale et au monde une espérance.

En même temps, fort instruit de la défiance et de l’aversion qui l’attendaient, sous les auspices du roi lui-même, dans le vieux parti que guidait le chancelier Eldon, il devait se ménager des appuis parmi ces conservateurs éclairés qui ne regardaient pas le maintien religieux des abus comme le préservatif assuré contre les révolutions. Avec lui, l’influence des Robinson et des Huskisson supplantait celle des Addington et des Vansittart, et avec ceux-là de saines idées économiques et financières pénétraient dans l’administration. En dehors des intérêts de l’église anglicane, Peel ouvrait son esprit aux conseils d’une science éclairée. On l’avait vu, dans la question des paiemens en espèces, accepter, après une enquête, l’opinion qu’il avait publiquement combattue, et se faire gloire du courage de changer d’avis sous la dictée de l’expérience, grand exemple qu’il devait renouveler plus d’une fois pour l’impérissable honneur de son nom. Bientôt il devait, comme ministre de l’intérieur, entreprendre, aux applaudissemens de Brougham et de Mackintosh, la réforme des lois pénales, après que, par une réorganisation judicieuse de la police, il avait établi la sûreté publique dans Londres et ses environs. Ainsi lord Liverpool, recommençant en quelque sorte sa carrière, présidait au second âge de son administration, et faisait, sans peut-être s’en douter, succéder à la nuit profonde de la réaction l’aube naissante de la réforme.