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calme. Depuis 1820, des révolutions successives dans tout le midi du continent avaient paru condamner et compromettre ce grand établissement européen auquel, par la main de lord Castlereagh, l’Angleterre avait si efficacement coopéré. Il avait eu plus d’une fois à douter de son ouvrage, à revenir sur ses anciennes idées, à se séparer de ces cabinets étrangers dont il s’était cru l’éternel ami. Il était sur le point de partir pour le congrès de Vérone, où il prévoyait que la révolution espagnole poserait pour tous un problème plein d’anxiété, et placerait l’Angleterre dans un antagonisme forcé avec les signataires de la sainte-alliance. L’épreuve était forte même pour ce ferme esprit que ne soutenait ni l’illusion ni la passion, ni l’enthousiasme. On a toujours cru que c’est à cette formidable épreuve qu’il avait succombé, et je me rappelle que dans l’opposition française cette mort soudaine et tragique nous donna l’espoir que le monde politique tournait sur son axe et qu’une nouvelle face des choses allait se montrer. Le voile qui la couvrait, la main de Canning était destinée à l’écarter peu à peu.

Il était le successeur unique et nécessaire de Castlereagh. Lord Liverpool n’eut pas de peine à en convaincre le roi malgré ses répugnances personnelles, et Canning commença cette administration qui a prêté tant de lustre à sa mémoire et recommandé son nom, peut-être au-delà de ses services, aux amis de la liberté dans le monde.

Quelques contemporains de Canning ont pensé que le parlement d’Angleterre n’avait pas produit de plus grand talent oratoire que le sien. Il est impossible à un étranger d’objecter ou de souscrire à ce jugement. Je trouve cités par sir George Lewis, un de ses grands admirateurs, les passages suivans


« Le bras de l’Angleterre a été le levier qui a arraché de sa base la puissance de Bonaparte. Le Portugal a été le point d’appui sur lequel le levier s’est soulevé. L’Angleterre a soufflé et nourri le feu sacré, mais le Portugal avait déjà dressé l’autel où ce feu fut allumé et d’où il monta, brillant et s’étendant au loin, jusqu’à ce que le monde fût illuminé de son éclat. »

« ….. Le même soleil qui a doré l’entrée triomphale de lord Wellington dans Madrid, et qui a pâli aux feux de l’incendie de Moscou, a mûri dans la présente année, au nord et au midi, une des plus riches moissons qui aient jamais été accordées comme une bénédiction à l’humanité. »


Pour nous, ces images de coloriste, cette richesse de métaphores ne seraient pas les signes les plus sûrs de l’éloquence politique: mais les Anglais y sont fort sensibles, et, ce qu’on ne croirait pas, ils ont plus de faible que nous pour le talent de la tribune. Toutefois, malgré des traits de bel esprit et des écarts d’imagination