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qu’une partie des gloses éclaire le texte du Senchus, une autre tend à l’obscurcir.

La traduction elle-même, malgré son mérite incontestable, n’est pas toujours à l’abri du reproche. On a conservé un grand nombre de mots en irlandais, faute d’en pouvoir préciser le sens, et parmi ces mots sont ceux qui qualifient l’état des personnes et indiquent la valeur des choses. Ailleurs, en ayant le soin de le faire remarquer, on intercale des mots et on modifie le sens dans l’intérêt de la clarté. Ces changements ne sont pas toujours heureux. Dans un passage parfaitement clair, on crée une équivoque en ajoutant au milieu : « suivant d’autres. » Dans un autre passage, on traduit le mot de canon par celui d’évangile. Pour qui est au courant de la polémique irlandaise, moderne, la préoccupation d’es prit qui a produit ces modifications est facile à. saisir. Il en est d’autres qui s’expliquent moins. Si, dans les îles britanniques, sous une plume loyale, après le mot de reine vient naturellement le mot de sujet, ce n’est pas une raison pour, traduire « la reine et le sujet » quand il y a « la reine et les non-reines, » surtout lorsque la glose explique que la première femme du roi avait seule droit au titre de reine et que les autres n’étaient pas des reines. Ailleurs, on traduit « le roi ou le vassal » quand il y a « le roi ou les hommes de son sang ; » plus loin, au lieu des « membres de la tribu, » on dit « les suivants du chef. » Il n’y a donc pas d’illusion à se faire, le Senchus n’est parvenu jusqu’à nous qu’après avoir subi deux altérations : l’une quand il a été traduit du bérla-feini en irlandais du Xe au XIIIe siècle, l’autre quand il a été traduit d’irlandais en anglais. Le Senchus-Mor n’en est pas moins un des monuments de l’histoire, le monument d’une société disparue. Si quelques pierres ont été changées à l’édifice, si une fausse couleur couvre quelques-unes des parties, les grandes lignes, restent pures, et l’esprit de critique le moins exercé peut retrouver l’originalité première.

Deux choses donnent à ce livre un caractère singulièrement vénérable. C’est une loi sans législateur, un recueil de coutumes antiques, de précédents et d’exemples, de conventions internationales passées,entre les trois grandes tribus qui divisaient l’Irlande, et de jugements rendus par des brehon et des poètes auxquels on attribuait une inspiration divine. Sen-Mac-Aige avait sur les joues trois taches rouges toutes les fois que le jugement était mauvais, et ses joues redevenaient blanches lorsque le jugement était bon. Connla, grâce au Saint-Esprit, n’a jamais prononcé de jugement inique. Si Fachtna prononçait un mauvais jugement, tous les fruits de la contrée tombaient, et les vaches repoussaient leurs ; veaux ; quand le jugement était équitable, les fruits devenaient abondants, et le lait