Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses tenanciers qui ne l’ont pas défendu, et même de tous ceux auxquels il reproche d’avoir comploté contre lui.

Parmi les singularités qui caractérisent le régime du clan, on remarque d’abord que tout étranger est considéré comme suspect et traité en ennemi. Si l’étranger, c’est-à-dire l’habitant d’un territoire voisin, n’a pas de propriété sur le territoire de la tribu, il est arrêté, fût-il un ménestrel, et reconduit à la frontière. Celui chez lequel il a logé ou mangé devient pour vingt-quatre heures responsable de ses crimes. Si l’étranger a des propriétés sur le territoire de la tribu, il n’a pas droit au revenu complet de sa terre, et lorsqu’il intente un procès, il doit être assisté d’un membre de la tribu sous peine d’être mis hors de cause. Il y a une exception en faveur du commerce maritime. La tribu ne doit pas simplement protection au navire étranger, elle doit nourrir les équipages. Quand un navire entre dans un port, le chef de famille du lieu se rend auprès du roi, et celui-ci opère une saisie contre la tribu pour garantir l’exécution de la loi. Dans les relations des membres de la tribu entre eux règne au contraire la plus grande bienveillance. Sans doute on distingue trois ordres de personnes placées dans des conditions légales différentes : les propriétaires ou chefs à tous les degrés, entre lesquels existe une sorte d’égalité ; les tenanciers, qui se divisent en deux catégories ; enfin les hommes pour lesquels la loi n’a pas de protection parce qu’ils sont sous la protection d’un autre. Néanmoins le principe du clan est généreux et exerce son action. Ces personnes de conditions inégales sont de même race et de même sang, et la parenté sociale crée entre elles ces rapports d’affection et de dévouement qui sont l’honneur du clan. Qu’au Ve siècle il y ait en Irlande comme partout des hommes appartenant à d’autres hommes, on n’y verra pas comme ailleurs la haine répondant au mépris. Dans aucune législation, germanique ou féodale, on ne lira cette sentence du Senchus : « Des trois objets de la loi, — le gouvernement, l’honneur et l’âme, — le gouvernement appartient aux chefs, l’honneur et l’âme appartiennent à tous. » Lorsqu’il s’agit du respect pour la faiblesse et du soin pour les malheureux, ces petits clans demi-sauvages et demi-païens, qui, sous la loi chrétienne de saint Patrick, appellent encore forêts sacrées les forêts druidiques, montrent plus d’humanité que les sociétés civilisées et chrétiennes. Chaque année, une partie du territoire de la tribu est mise à la disposition du chef pour être distribuée entre les pauvres. « Le premier devoir, dit le Senchus, et c’est une obligation qui passe avant toutes les autres, est de secourir ceux qu’a frappés la baguette magique. » Celui qui manque à ce devoir est condamné à une amende de cinq vaches, s’il s’agit d’un