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du renchérissement du capital, qu’est-ce que viendraient faire 200 millions de numéraire de plus ajoutés à l’encaisse de la Banque ? D’abord ils ne s’y ajouteraient pas gratuitement, ils seraient pris quelque part, détournés d’autres emplois où ils manqueraient probablement beaucoup; mais tombassent-ils du ciel qu’ils seraient encore un remède insuffisant et changeraient bien peu la situation. Le découvert, au lieu d’être de 6 milliards, serait de 5 milliards 800 millions. Ce n’est pas 200 millions de plus ou de moins en numéraire qui font la difficulté de la situation, c’est l’immense écart qui se trouve entre les ressources disponibles et les besoins, et cet écart se marque par la cherté de l’argent, parce que, je le répète, l’argent est la forme que prend le capital disponible pour circuler, pour passer d’une main à l’autre, et qu’il est cher quand le capital est cher. On dit alors que la crise est monétaire; on se trompe; la cherté de l’argent n’est ici qu’un symptôme : la crise est financière.

Il y a pourtant des causes spéciales de renchérissement pour l’argent comme tous les produits qui répondent à des besoins de première nécessité, il baisse ou il monte de prix suivant qu’il est plus ou moins abondant par rapport ces besoins. Quand, à partir de 1848, les mines de la Californie, puis, à partir de 1851, celles de l’Australie, sont venues verser ensemble sur le continent européen, de 2 à 300 millions chaque année, on s’est dit que l’or allait se déprécier, et beaucoup d’écrits ont été publiés dans ce sens par des hommes considérables et dont l’opinion fait autorité. Cependant le résultat a été tout autre. Il y a bien encore quelques personnes qui attribuent l’élévation du prix de certaines choses à la dépréciation de la monnaie; mais cette opinion est de plus en plus rare, et à mesure qu’on considère les faits avec attention on est convaincu que la cherté doit être attribuée à une autre raison qu’à la dépréciation de la monnaie. Je n’oserais pas dire, quant à moi, que la monnaie, considérée elle-même comme étalon des valeurs, a plus de prix aujourd’hui qu’elle n’en avait il y a vingt ans; mais j’estime qu’elle en a au moins autant malgré les 3 ou 4 milliards d’or californien et australien qui sont venus s’ajouter au stock métallique de l’Europe depuis quinze ans. Il s’est produit à l’égard du numéraire le même phénomène qu’à l’égard d’autres denrées de première nécessité. — La production de la viande a triplé depuis quinze ans, cela ne l’a pas empêchée d’augmenter de prix. — On produit aujourd’hui au moins le double de céréales, et cependant les prix sont restés à peu près ce qu’ils étaient il y a quinze ans — De même pour le vin, de même pour beaucoup d’autres choses. Cela tient à ce que la quantité de toutes ces choses a eu beau augmenter,