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de résultats, qu’en vérité le gouvernement avait bien le droit, sinon le devoir, de rechercher s’il n’avait pas un usage immédiatement utile à faire de son domaine, au défaut d’une colonisation idéale si peu comprise encore dans la réalité. On résolut donc en 1863 d’appliquer tout de suite à la constitution de la propriété arabe les ressources territoriales de l’état. On se trouva dès lors en face de la question sociale arabe. Fallait-il constituer la propriété arabe sous la forme individuelle ou sous la forme collective de la tribu ? La lettre impériale avait paru plus favorable à la propriété collective, à la tribu ; le sénatus-consulte semble incliner davantage vers la formation de la propriété personnelle, La difficulté était grave, et la résolution qu’on allait prendre engagerait peut-être l’avenir d’une façon redoutable. En conférant la propriété à la tribu, on faisait une chose contraire aux précédons de notre politique : la tribu était le cadre militaire de la population que nous avions eu à vaincre et à conquérir ; la tribu était le cadre social et politique de la société arabe que nous devions tendre à fondre dans notre civilisation ; la tribu mettait les Arabes aux mains d’une aristocratie animée contre nous d’une hostilité naturelle. La politique logique de la France avait donc paru être de travailler à la décomposition de la tribu. La résolution arrêtée de constituer la propriété arabe fournissait ainsi l’occasion ou de favoriser par l’action des intérêts individuels l’affaiblissement de l’ancien lien collectif et féodal, ou au contraire de fortifier l’ancienne aristocratie, si ébranlée par notre conquête. De là deux opinions tranchées. Ceux qui attendent de l’action du temps soit le développement d’une colonisation européenne, soit la recomposition d’une société arabe devenue sédentaire et attachée à nous par le lien des intérêts individuels, ont désiré que la nouvelle propriété arabe fût établie sous la forme personnelle ; ceux qui ont souhaité et cherché des résultats plus prompts, ceux qui ont cru qu’on rendrait le gouvernement de l’Algérie plus simple et plus économique en traitant avec l’organisation arabe, au lieu de la dissoudre, ont voulu que la propriété fût constituée tout de suite au profit de la tribu. On comprend la grave portée de l’une et de l’autre politique. Il s’agit dans ce débat du passé et de l’avenir ; faut-il désavouer ce qui a été fait depuis trente ans ? faut-il redresser, en lui prêtant une force et une vitalité nouvelles, la vieille organisation arabe ? Est-il au contraire permis d’espérer que notre générosité sera comprise de l’aristocratie arabe, qu’en lui donnant plus d’indépendance nous serons plus assurés de son dévouement, que l’organisation nouvelle des Arabes français sera pour les quinze millions d’hommes que compte la race arabe depuis les côtes de la Méditerranée jusqu’à la Syrie un objet d’envie, d’imitation, et deviendra pour nous dans les affaires d’Orient un moyen de propagande et d’influence ? On ne sera point surpris si nous pensons qu’une question aussi vitale pour l’Algérie et la politique de la France mériterait d’être débattue avec toutes les garanties qu’assure la procédure des institutions libres. Rien ne semble mûr encore dans cette grave controverse ; nous n’en donnerons qu’une