Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sienne. M. de Bismark est en vérité bien bon de froncer le sourcil devant le sénat de Francfort et de menacer de ses foudres cette ville hospitalière. Veut-il nous donner à croire qu’il ne comprend point que le Naiional-Verein et même la réunion des députés des parlemens allemands font ses affaires, et sont, à leur insu peut-être, les pionniers de l’ambition prussienne ?

Le volume où notre collaborateur M. A. Laugel vient de rassembler les études instructives sur les États-Unis qui avaient paru dans la Revue offre aujourd’hui un intérêt nouveau en présence de ce qui se passe en Amérique. Il est curieux de relire cette histoire des États-Unis pendant la guerre quand on a sous les yeux les États-Unis après la paix. M. Laugel a été du nombre des esprits sagaces, n’ayant pas perdu la mémoire historique, qui comprenaient dès l’origine que la tentative des états du sud ne pouvait pas réussir, que l’union américaine ne pouvait pas succomber dans l’épreuve d’une guerre civile. Il put se confirmer dans cette conviction en parcourant les États-Unis pendant la lutte. Il y a maintenant pour ceux qui n’ont point cru, aux plus mauvais jours, au renversement possible de la république américaine une satisfaction plus grande que celle qu’ils ont éprouvée le jour où la force a prononcé entre les deux partis : c’est celle qu’il leur est donné de ressentir en voyant comment s’opère la réconciliation du nord et du sud et la reconstitution légale des états séparatistes. La plupart des anciens chefs du sud réparent avec un rare bon sens et une louable droiture la faute violente qu’ils commirent en voulant détruire l’Union. Ils acceptent le verdict de la guerre, comme un parti s’inclinerait, après une loyale lutte électorale, devant l’arrêt du scrutin. Les hommes qui dirigent le gouvernement américain ont eu sans doute le mérite de rendre par leur générosité la réconciliation facile ; mais c’est surtout à la force d’attraction et à la vertu des institutions des États-Unis qu’il est juste d’attribuer la merveilleuse promptitude de cet apaisement. Les institutions américaines sont sans contredit le régime politique le plus conforme à la justice et à la raison qu’il ait été donné à une société humaine de réaliser. Sans doute ces institutions n’ont point le privilège de donner d’emblée aux masses qu’elles régissent la surface polie d’une civilisation raffinée ; le raffinement et le charme viendront peut-être par surcroît avec le temps ; mais dès à présent c’est une chose merveilleuse qu’une société où personne n’est exclu des droits politiques, où chacun, possédant les droits qui découlent de l’égalité et de la liberté, peut déployer toute sa vitalité et toute sa valeur. L’idéal de la révolution française n’est point autre. Les hommes éminens de la démocratie américaine ont toujours eu présente à l’esprit cette vertu générale, cosmopolite et humaine de leurs institutions. Dans les débats du sénat qui précédèrent la séparation et la guerre civile, M. Seward, terminant un discours qu’il peut relire maintenant avec orgueil, montrait avec une éloquente douleur aux gens du sud