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et une magnifique abondance de cheveux, réelles pourtant, et qui ne sont qu’une empreinte plus noble d’un moule dont la vraie nature s’est servie. Être soi-même, par soi-même, par soi seul, sans réserve et jusqu’au bout, y a-t-il un autre précepte dans l’art et dans la vie ? C’est par ce précepte et cet instinct que l’homme moderne s’est fait et a défait le moyen-âge. Voilà les rêveries qu’on emporte avec soi en errant dans ces rues baroques, montueuses, bossuées, dans ces couloirs escarpés, dallés de briques, traversés d’arêtes pour retenir les pieds, parmi ces étranges bâtimens où l’imprévu et l’irrégularité de l’antique vie citadine et seigneuriale éclatent à peine atténués par les rares redressemens de la police moderne. Au XIVe siècle, Pérouse était une république démocratique et guerrière qui combattait et conquérait ses voisins. Les nobles étaient écartés des emplois, et cent quarante-cinq d’entre eux complotaient le massacre des magistrats : on les pendait ou on les chassait. Il y avait sur le territoire cent vingt châteaux et quatre-vingts villages fortifiés. Des gentilshommes condottieri s’y maintenaient indépendans et faisaient la guerre à la ville. A Pérouse, des gentilshommes citoyens étaient condottieri, le principal, Biordo de Michelotti, prenant trop d’autorité, était assassiné dans sa maison par l’abbé de Saint-Pierre. Assiégés par Braccio de Montone, les Pérousins sautaient du haut des murs ou se faisaient descendre avec des cordes pour combattre de près les soldats qui les défiaient. Parmi de pareilles mœurs, les âmes se maintiennent vivantes, et le sol est tout labouré pour faire germer les arts.


La peinture, Angelico, Pérugin.

Mais quel contraste entre ces arts et ces mœurs ! On a rassemblé à la pinacothèque les tableaux de l’école dont Pérouse est le centre : elle est toute mystique ; il semble qu’Assise et sa piété séraphique y aient pris le gouvernement des intelligences. Dans cette barbarie, c’était le seul centre de pensée, il n’y en avait pas beaucoup au moyen âge, et chacun d’eux étendait sa domination autour de lui. Fra Angelico de Fiesole, chassé de Florence, est venu vivre près d’ici pendant sept ans, et il a travaillé ici même. Il y était mieux que dans sa Florence païenne, et c’est lui qui attire les yeux d’abord. Il semble en le regardant qu’on lit l’Imitation de Jésus-Christ ; sur les fonds d’or, les pures et douces figures respirent avec une quiétude muette, comme des roses immaculées dans les jardins du paradis. Je me rappelle une Annonciation de lui en deux cadres[1]. La Vierge est la candeur, la douceur même, la physionomie est presque allemande, et les deux belles mains sont si

  1. Numéros 221, 222.