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gnaient. Le ciel est d’or, et des auréoles d’or enveloppent toutes les figurines. Dans cette lumière, les personnages presque noirs semblent une vision lointaine, et quand autrefois ils étaient sur l’autel, le peuple agenouillé, qui entrevoyait de loin leur grave ordonnance, devait ressentir le trouble mystérieux, la sublime anxiété de la foi chrétienne devant ces ombres humaines profilées par multitudes sur la clarté du jour éternel.

A l’Institut des Beaux-Arts sont lest tableaux de Duccio, des contemporains, des successeurs de l’école, toute la suite des vieux maîtres de Sienne, presque tous tirés des couvens. Avec leurs ongles et leurs ciseaux, les nonnes ont dans ces peintures arraché les yeux des démons, déchiré le visage des persécuteurs. Peu de progrès ; le tableau est encore un objet de religion plutôt que d’art : on le comprend de reste par ces mutilations naïves. C’est à l’hôtel de ville de Sienne que cette peinture est le plus parlante. Un musée n’est jamais qu’un muséum, et les œuvres de l’art comme les œuvres de la nature perdent la moitié de leur vie quand on les tire de leur milieu. Il faut les voir avec leurs alentours dans le grand mur dont ils peuplaient la nudité ; devant la fenêtre ogivale qui les éclairait, dans les salles où siégeaient des magistrats habillés comme leurs personnages. On passerait deux mois dans ce palais à étudier les mœurs féodales sans épuiser toutes les idées qu’il peut fournir : figures et costumes, jeunes chevaliers et vieux sergens d’armes, ordonnances de batailles et processions religieuses. Terne, sérieux et même sombre, raide et raidi, voilà les mots qui viennent à la pensée. C’est le XIVe siècle qui s’est fixé ici dans les peintures, et l’on y sent la présence continue de la lutte, l’arrêt force au sein du danger, l’effort infructueux vers une beauté plus épanouie et vers une harmonie plus libre. C’est l’âge des horribles guerres intestines, des condottieri et des Visconti, des supplices calculés et des tyrannies atroces, de la foi chancelante et du mysticisme croulant, de la renaissance entrevue, essayée et avortée. Avec ses contes tragiques, sceptiques, sensuels, recouverts de périodes cicéroniennes, Boccace en donne l’image vraie[1].

Là sont les personnages et les aspirations du temps. Simone Memmi, le peintre de Laure et l’ami de Pétrarque, a peint dans la salle du grand conseil la Vierge sous un baldaquin, entourée de saints ; têtes gravés et nobles dans le goût de Giotto, et in peu plus loin Guido Ricci, un capitaine du temps, sur son cheval caparaçonné, figure réelle. La peinture devient laïque[2]. Un des Lo-

  1. Comparer sa Fiancée du roi de Garbe et celle de La Fontaine.
  2. 1316-1328.