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guirlande. L’effet n’est point celui du grandiose, mais d’une beauté harmonieuse, mesurée et heureuse.

Pour la première fois en Italie je vois un vrai fleuve dans une vraie plaine ; l’Arno, jaune, et troublé, roule entre deux longues rangées de maisons ternes. Triste ville, négligée, maigrement peuplée, inerte, qui rappelle une de nos villes tombées ou laissées de côté par la civilisation qui se déplace, Aix, Poitiers, Rennes : c’est Pise.

Il y a deux Pise : l’une où l’on s’est ennuyé et où l’on a vivote provincialement depuis la décadence, c’est toute la ville, moins un coin écarté, l’autre est ce coin, sépulcre de marbre, où le Dôme, le Baptistère, la Tour penchée, le Campo-Santo, reposent silencieusement comme de belles créatures mortes. La véritable Pise est là, et dans ces reliques d’une vie éteinte on aperçoit un monde.

Une renaissance avant la renaissance, une seconde pousse presque antique de la civilisation antique, un précoce et complet sentiment de la beauté saine et heureuse, une primevère après une neige de six siècles, voilà les idées et les paroles qui se pressent dans l’esprit Tout est marbre et marbre blanc dont la blancheur immaculée luit dans l’azur. Partout de grandes formes solides, le Dôme, le mur plein, les étages équilibrés, la ferme assiette du massif rond, ou carré ; mais par-dessus ces formes renouvelées de l’antique, comme un feuillage délicat sur un vieux tronc qui reverdit, ils étendent leur invention propre, un revêtement de colonnettes sur montées d’arcades, et l’originalité, la grâce de cette architecture ainsi renouvelée ne peuvent s’exprimer.

Ce qu’il y a de rare et de plus difficile dans les arts, c’est la découverte d’un type d’architecture ; les Grecs, le moyen-âge, en ont trouvé un complet ; la Rome impériale, le XVIe siècle, le XVIIe, en ont produit chacun un demi. Pour rencontrer d’autres types, il faut sortir de notre Europe et de notre histoire, considérer l’Égypte, la Perse, l’Inde ou la Chine. D’ordinaire ils témoignent d’une civilisation complète, d’une transformation profonde de tous les instincts et de toutes les habitudes. En effet, pour changer l’idée d’une chose aussi générale que la forme, quel changement doit s’opérer dans la tête humaine ! Les révolutions en peinture, et en littérature sont bien plus fréquentes, bien plus aisées, bien moins significatives. Les figures tracées sur la toile et les caractères représentés dans un livre changeront cinq ou six fois chez un peuple avant que son architecture se renouvelle. La masse à remuer est trop grosse, et au XIe siècle, au temps, de nos premiers rois capétiens, Pise la remue sans effort.

Il y eut alors une aurore, comme en Grèce au VIe siècle, Tout jaillit d’un élan comme la lumière à la première heure. « Les Pisans,